Après avoir plus ou moins créé le film de super-héros moderne avec X-Men, Singer revient sur son bébé histoire de prouver une bonne fois qu’il en est le maître légitime. Il boucle la boucle avec maestria, et livre le film le plus mature et poignant de la série, et l’un des tout meilleurs du genre. Vas-y Joss Whedon, chouine.
Dans un futur apocalyptique, les Sentinelles créées pour traquer les mutants ont évolué et se sont retournées contre l’humanité entière : la guerre est totale. Les derniers mutants luttent pied à pied et mettent au point un procédé permettant à l’un des leurs de remonter le temps en esprit jusqu’à son corps du passé. Suffisamment âgé et robuste pour le trip, Wolverine est ainsi renvoyé en 1973, à la veille du déploiement des premières machines qui devra faire suite à l’assassinat de leur créateur par une Mystique juvénile et vengeresse. Une difficile alliance entre mutants, notamment entre Xavier et Magneto, devra être mise en place pour empêcher cet acte fondateur et enterrer la guerre avant même ses prémices.
Beaucoup d’embûches se dressaient devant ce retour effectif de Singer parmi ses X-men. L’approche infantile des grandes franchises Marvel (pour montrer patte blanche à Disney ?) en était la principale. Du sacrifice des Avengers dans les négations pétaradantes de ses personnages et enjeux, à la destruction à coups de boutoir, dans les récents reboots, de tous les acquis des Spiderman de Sam Raimi, le saccage est presque général. On tremblait pour les X-men, franchise exigeante rouée de coups par le traitement hasardeux des deux Wolverine (Mais qu’avez-vous donc fait à Deadpool?), et celui, nanardesque, de ce beauffard de Brett Ratner dans le tristement notable Last Stand (Mais que diable avez-vous fait à Dark Phoenix?). De fait ce X-men 3, aussi irréfutable qu’un cafard sur un gâteau de mariage, dressait jusqu’à présent son ombre méphitique sur une franchise ainsi vidée d’une grosse part de sa substance.
C’est logiquement avec le précédent film canonique de la franchise, l’excellent First Class, qu’on parvenait enfin à relever la tête : bien que Matthew Vaughn en ait assuré la mise en images avec classe et ampleur, c’est bien la main de Brian Singer qui repousse ses mutants sur les rails qu’il avait lui-même, jadis, posés. Et ce miracle apparent venait de causes pourtant évidentes, bien que boudées souvent au pays des exécutifs triomphants, à savoir le sens de la dramaturgie et le respect de l’esprit du matériau de base. Cela passait par une réelle mise en valeur des enjeux thématiques du comic book et de ses personnages (en n’éludant plus les considérations ethiques, ethniques, politiques), mais aussi et surtout par une perspective adulte sur l’histoire elle-même (en ramenant une réelle notion de péril et d’antagonisme dans le récit, avec des actions ayant des conséquences). Belle astuce pour parvenir à faire passer ce revirement, placer le récit dans les années 1960 et préparer ainsi un tapis sous lequel enfouir les erreurs du passé.
Une part du prix de la belle apothéose que nous avons aujourd’hui sous les yeux est l’élimination définitive des scories d’après X-men 2, avec l’argument du voyage dans le temps et de sa nécessaire modification de paradigme dans le futur : en changeant de ligne temporelle et historique, on efface virtuellement jusqu’au souvenir de Last Stand et Origins, et de leurs pachydermiques profanations. Enfin ! A croire que First Class ne servait (presque) qu’à préparer le public à ce tour de passe-passe, et passer enfin aux choses sérieuses laissées en plan à la mort de Jean Grey. Dans les faits, Singer devait réaliser First Class et Vaughn ce DOFP avant que des contraintes d’emplois du temps n’inversent le rapport. Quoi qu’il en soit, et plutôt que d’assurer seulement la transition, Singer se jette directement dans le gros-oeuvre. Il ose, ce faisant, de nouveau reprendre un arc connu du comic book (alors que First Class développait une storyline plus ou moins originale), l’un des plus aimé des lecteurs, celui donc du Days of Future Past, en le pliant aux impératifs cinématographiques déjà posés par sa propre saga. Pas question ainsi que Kitty Pride fasse le voyage, ce qui thématiquement n’aurait pas eu de sens au sein d’une série où le principal vecteur du spectateur a toujours été Wolverine. De même, l’excellente idée de faire un nain de Bolivar Trask, farouche opposant aux mutants et créateur des sentinelles (dont la taille est standard dans le comic), c’est-à-dire un homme condamné à être perçu d’emblée par le prisme de son physique, pose un peu plus les considérations spécistes de cet univers tel que le lit Singer : il retrouve finalement la forme et la fonction d’un récit épique ambitieux, qui montre les combats ontologiques de personnages contre leur destin, autour de leur propre patrimoine génétique ; choisissant soit de s’y résumer dans la revanche ou le suprématisme (Magneto, Shaw, ici Trask, plus tard Apocalypse), soit de le transcender par l’empathie (Xavier, Wolverine dans une certaine mesure, ou encore via les difficultés sociales de Rogue ou Mystique). Le cinéaste creuse son sillon et parle encore et toujours des guerres et de leurs fondements: le simple fait de tordre légèrement sa timeline pour poser le récit à la fin du conflit vietnamien n’a rien d’anodin (cf. le look de Xavier en 1973, citation évidente de Born on the 4th of July).
Car le film est là : il montre des personnages au lieu de se contenter de situations ou d’effets. L’évolution de points de vue et d’attitudes est d’ailleurs le cœur même de la mission salutaire des mutants ; il s’agit de pousser les personnalités-clés de l’histoire en marche à voir plus loin et plus haut qu’elles-mêmes car c’est littéralement le seul espoir de salut du monde. Xavier doit passer outre son désespoir et sa peur, Mystique sa soif de vengeance, Magneto et Trask leur aveuglement idéologique, afin qu’un péché de sang fondateur ne soit pas commis. Sous peine de se trouver à la merci de robots surdoués, personnification même d’un raisonnement systémique rigide qui signifie la mort pure, simple, arbitraire. Difficile de faire plus explicite. Rien qu’en cela DOFP se démarque du tout-venant des blockbusters récents, qui ne cherchent au mieux qu’à rétablir en fin de récit le statu quo de leur scène d’ouverture. Rien qu’en cela, DOFP est précieux, autant par son message que par la manière qu’il a de le délivrer.
Parce que bon, on est quand même dans un récit mythologique moderne qui prétend nous captiver par le spectcale d’empoignades furieuses entre übermenchen propres à nous coller à nos sièges. Pari plus que tenu. Singer n’est ni un clippeur, ni un téléaste, et il maîtrise enfin l’ensemble de sa palette de mise en scène pour porter les progressions et qualités de son écriture. Il a surtout fait d’énormes progrès en termes de scènes d’action. A l’inverse de Whedon sur Avengers (plan moyen / plan large / plan-moyen / démo technique d’ILM / re-plan moyen…), mais aussi des réguliers coups de frime de Vaughn sur le précédent opus (inserts tournoyants, effets de découpage ou de focale, plans de ponctuation ou de commentaire), Singer pose une mise en images classique et fluide, mais surtout constamment lisible, avec un sens de l’espace qui commence, fugacement, à évoquer le John McTiernan des débuts. De fait, il fait passer des notions spatiales ou conceptuelles complexes d’une façon incroyablement naturelle, rendant intelligibles, sans avoir besoin de les paraphraser dans le dialogue, des pouvoirs pas forcément évidents à poser avec des moyens cinématographiques. A ce titre, l’ensemble des séquences du futur sont d’une célérité et d’une virtuosité qu’on n’avait pas vue depuis longtemps dans un blockbuster. Les portails de Blink ou les décharges d’énergie de Bishop sont d’emblée compris visuellement avec facilité, sans jamais ralentir une action à la fois crédible et spectaculaire : les mutants combinent leurs pouvoirs avec naturel pour des résultats à la fois dérisoires dans la mesure où les sentinelles X ne peuvent être que retardées, et grandioses parce que ce sens de dernier acte d’une guerre totale appelle toutes les ressources d’iconisation dont Singer s’est peu à peu fait expert. Mais c’est bien entendu la reconstitution des années 70, juste jusque dans le grain de l’image, et son naturalisme bienvenu (attendez de voir la nouvelle tête de Toad), qui crédibilise une bonne fois pour toutes l’univers des X-men de plus en plus en plus vériste et de moins en moins « uncanny ». Alors même que les péripéties sont au sens fort incroyables (Magnéto soulève un stade entier ou détourne les premières sentinelles d’une manière inédite), on n’est jamais amené à en questionner ni la vraisemblance, ni le bien fondé : la grande scène de combat de Beast (enfin beau en fourure!), pour stigmatisante qu’elle soit pour les mutants, mêle dynamisme et implication avec une maestria qui force le respect. Là comme dans les pérégrination de Mystique (belle retenue de la part de Jennifer Lawrence), le contexte est constamment mis en valeur, et si l’on doit chercher la vraie résurgence du thriller politique parano des 70’s dans les blockbusters de cette année, c’est plutôt ici que dans le récent et un peu fadasse Captain America qu’on la trouve.
Cette maîtrise est aussi celle du ton, et fait merveille dans des séquences qu’on attendait a priori avec circonspection, notamment la déjà sur-commentée heure de gloire de Quicksilver (entre autres parce que le personnage doit se retrouver dans le prochain Avengers, avec le hiatus qui peut en découler), qui s’en va libérer Magneto dans les sous-sols du Pentagone. Si le look du gosse ultrarapide est le moins réussi du film, la couverture rythmique et spatiale de la séquence est si fluide et ludique qu’elle constitue un véritable court métrage enchâssé dans un récit par ailleurs extrêmement juste, tant dans la caractérisation des personnages que dans le jeu de leurs interprètes. Alors que Michael Fassbender était l’attraction principale du précédent, ici, c’est James McAvoy qui emporte le morceau avec une sensibilité incroyable. Xavier y gagne enfin sa cohérence en tant que personnage (plus encore que la condition exhorbitante pour pouvoir en user, sa mutation en fait une sorte de réceptacle virtuel de toutes les souffrances de l’humanité), notamment dans l’épilogue, faux happy ending biaisé où lui et Wolverine partagent désormais ce sens du tragique du « last man standing » : ils sont les seuls à savoir, à avoir vécu plusieurs vies entières de déchirements et de pertes insupportables, et ne peuvent partager cette expérience qu’entre « vétérans psychiques ». Le mode même de communication entre les deux époques, qui emprunte à celui de La Jetée de Marker, et que seuls les deux mutants expérimentent, pose assez l’appréhension avant tout humaine de la saga par son promoteur principal. Des personnages incarnés dans un univers tangible et complexe, appuyé par une DA qui va enfin intégralement dans la même direction, et une écriture précise et pertinente, voilà qui nous fait le meilleur X-men cinématographique à l’heure actuelle, et l’un des tous meilleurs films du genre. Avec Godzilla, le coup de poker Guardians of the Universe, Jupiter Ascending, et le prochain Planet of the Apes, 2014 s’annonce en tous cas très excitante en matière de blockbusters exigeants. En attendant, réjouissons-nous de savoir Singer aux commande du prochain X-men, où c’est carrément Apocalypse qui interviendra comme l’annonce le post-générique de DOFP, le premier d’ailleurs des films Marvel à être vraiment aussi riche de virtualités. La thématique suprématiste sera encore plus explorée, et on peut espérer qu’après le paradoxe temporel, la saga se frotte de manière raisonnée à un autre fondamental du comic book : le Multiverse. Vivement 2016.
-2014
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