TOTAL RECALL (2012)

B.O. d’article : Squirrel Nut Zippers – Suits are Pickin’ up the Bill

Il en est de Len Wiseman un peu comme il en fut de Stephen Sommers. D’abord très bien reçu avec des premiers films très ludiques (respectivement Deep Rising et the Mummy pour Sommers, les deux premiers Underworld pour Wiseman), bien troussés et dont les prétentions de divertissements étaient servies par une certaine absence de prise au sérieux qui laissait penser à de l’humilité, le voilà bientôt conspué comme un tâcheron, un faiseur indigne, et bientôt une sorte de social-traître du cinoche de genre. Statut en grande partie mérité pour nous avoir niqué John McLane à la fois dans Die Hard 4 et les grandes largeurs. Le voir s’attaquer au remake d’un film aussi apprécié par la communauté que Total Recall relève donc, dans une mesure certaine, soit du masochisme soit de l’inconscience pure.

Qu’il y ait un gros problème, à Hollywood, avec le modèle économique du remake/reboot/sequel/prequel/remix/accommodation des restes de la veille, c’est désormais à peu près acquis. On en est quand même à nous y refaire les Three Stooges cette année. Et Spiderman. Le temps où on pondait des The Thing en faisant un remake semble loin, tant ce sous-genre est désormais un strict véhicule de producteurs. Ceci posé, il faut tout de même remettre le film original en perspective vis-à-vis de son statut flatteur. Verhoeven est en 89 à ce moment de sa carrière où il se fait une place à Hollywood à force de combats homériques contre les exécutifs, volant de projets avortés en scénars à moitié traités. Cette place, il se la fait en subvertissant les genres vendeurs du mainstream, en premier lieu l’actioner science-fictionnel, de consommation courante des années 80 ; il obtient de fait de beaux scores au box-office, et en y incorporant son commentaire d’européen sur la culture nord-américaine, avec à la clé de beaux scores au box-office. Cette manière de travailler perdurera tout au long des années 90, pour culminer dans Showgirls (film massue totalement incompris) et Starship Troopers (film massue presque totalement incompris chez nous). C’est ainsi qu’il fait de Robocop un pauvre hère émasculé qui bouffe des petits pots et affronte crime et corruption dans une vision de l’économie américaine qu’on ne trouve alors pas dans les films de série A, et ce avec une outrance dans la violence graphique qui ne vise qu’à choquer (dans la série remake qui fout les jetons, celui-ci sent encore moins bon que Total Recall d’ailleurs). Loin d’être le joyau de la carrière de Paulo, Total Recall lui sert pour autant de véhicule à ces expérimentations de propos et de commentaire, en lui permettant de prendre un sous-genre en pleine gloire, à savoir la baston tous flingues dehors avec Schwarzie (le film est une prod Carolco, CQFD), et de profiter de la pétarade pour passer derrière le spectateur de base, l’attraper par le col et lui plonger le nez dans son propre caca socio-culturel. Forcément, en tant que sommet de mauvais goût agressivement conçu, le film est encore un bonheur à revoir, bourré de one-liners débiles et d’idées complètement géniales/connes (l’implant de narine, les trois nichons, Johnny Cab), servi par une DA volontairement infâme (les décors très moches sous des lumières peu flatteuses, Rob Bottin qui s’en donne à cœur-joie dans le grotesque irréaliste), et un script qui brode sur son principe schizo de base sans vraiment s’y frotter, histoire de rester léger et de faire de l’humour grinçant.

Cependant, tant au niveau de l’adaptation de la nouvelle d’origine que de la qualité scénaristique et plastique, le film reste assez basique si l’on veut bien le confronter aux autres efforts de son auteur. De son image forgée a posteriori de monument du film subversif, il faut retenir surtout la réalité d’un film extrêmement subverti, ce qui n’est pas la même chose (et n’enlève rien de sa valeur au film). Qu’en reste-t-il dans ce remake ? Par nature, rien. Et ce ne sont pas les quelques clins d’œil patauds à l’original, que dissémine Wiseman pour faire postmoderne, qui feront illusion sur ce point (la poitrine multipliée par un et demi, une référence méprisante à Mars dans un dialogue…). Ce faisant, il tend d’emblée le bâton pour la fustigation, dans la mesure où au lieu de montrer allégeance à l’original (le but de cette manœuvre étant clairement de montrer sa street cred’), ces références mal amenées passent pour des moqueries, voire des marques de mépris. Ainsi, de par sa nature et sa facture, un film qui aurait tout à gagner à se singulariser le plus possible de son prédécesseur se place irrémédiablement dans son ombre gigantesque. Grand mal lui en prend, puisque sur la plupart des aspects où il est attendu au tournant, ce Total Recall circa 2012 souffre évidemment de la comparaison. Précisément, bien sûr, si on compare les deux films sur le sujet de leur personnalité.

Alors ce sera quoi ? Bah ce sera pas de quoi se la prendre et se la mordre. En effet, le trait le plus marquant de ce film est son manque presque complet de personnalité – trait de caractère, si on ose employer ce mot, encore accentué par contraste avec le film de Paulo, qui en avait jusque dans les trous de nez, de la personnalité.

Non pas que nous ayons affaire à un si mauvais film en soi, ni même à un produit mensonger comme l’illustre pétard mouillé de Christopher Nolan sorti quelques semaines plus tôt. Total Recall n’est qu’un blockbuster d’action science-fictionnelle estival (ce que prétendait aussi être l’original à la base), pas une bête de festivals, un « film culte », ni une prise de position quelconque. L’argument en lui-même est astucieux et plaisant (le concept de la Chute, ascenceur géant qui traverse la Terre de part en part pour relier l’Angleterre et l’Australie, seules parties encore viables du globe, est séduisant et pas mal utilisé dans le climax), et les scènes d’action dynamiques à défaut d’être particulièrement originales, à part le très bon gunfight en plan-séquence au siège de Rekall – gâché ensuite immédiatement par un simili-siège du SWAT assez mollasson. En revanche, le récit lui-même est d’un linéaire et d’une platitude confondants, laissant loin derrière lui toute ambiguïté et même toute notion d’idiome quel qu’il soit : les rebelles, qui ne sont plus ni martiens, ni mutants, ni télépathes, ni vraiment renégats, ne sont du coup plus grand-chose, à part des mecs dans une station de métro qui se la jouent Hellgate London. Le reste suit cette lignée : Cohaagen par exemple n’est plus qu’une sorte de über-Charles Pasqua sans la folie qu’y insufflait autrefois Ronny Cox. Sans doute pour essayer de compenser, Bryan Cranston cabotine comme un malade et en devient parfois carrément embarrassant à regarder… Bill Nighy, quant à lui, cachetonne comme d’hab en mode « devinez quel type de parpaing j’imite » (ça commence à plus être amusant, réveille-toi mec), et Farell s’obstine à tenter de croire à son rôle qui ne fait pourtant pas grand-chose. Est-il besoin de dire de Jessica Biel n’a pas la place de respirer là-dedans, fait donc logiquement du Blade 3, et qu’il est donc nettement préférable de la voir dans le Laugier qui vient de sortir ?

A part ça, et en vrai écologiste, Wiseman continue sa croisade pour le recyclage des esthétiques des 15 dernières années. Vous ne verrez pas la queue d’un élément nouveau dans la DA ou les péripéties, même si le résultat est parfois joliment agencé (la ville à la Blade Runner est agréable à regarder, en plusieurs niveau comme dans Macross, et avec des robots pas mal comme dans I Robot, et puis les voitures magnétiques sont sympatoches comme dans Minority Report, et puis… Enfin vous voyez, quoi.)… Donc voilà, c’est parfois meugnon (le piano), parfois très pénible (les flares horizontaux à la JJ Abrahams), et à quelques moments carrément énervant (le plagiat pur et simple de la séquence de la pilule), mais la plupart du temps juste vaguement plaisant pour peu qu’on n’ait pas payé sa place. Il reste cependant un élément vivant dans ce fatras trop bien rangé. Kate Beckinsale (affolante), filmée avec un amour évident et qui a fait ses devoirs d’un point de vue entrainement physique. Cette gonzesse est faite pour jouer des méchantes et des tueuses d’élite, d’autant quand ces tueuses ne sont pas moulées dans du latex et hélitreuillées à chaque fois qu’elles sautent sur place. Là elle a une présence physique et un charisme qui éclipsent tout ce qui se trouve autour. Mais c’est bien la seule bonne surprise du film, et d’ailleurs, la seule surprise tout court.

Tiens, on a plus parlé de l’original que du remake dans ce papier. Remarque, c’est normal.

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