[REC] de Jaume Balaguero et Paco Plaza

Voilà un film qui remet l’auteur de  La Secte sans nom sur les rails du pitch tendu, et donne enfin ses lettres de noblesse au sous-genre casse-gueule du film en vue subjective. Y’a bon .

Dire qu’on attendait avec circonspection le prochain essai de Balaguero tient de la litote.

Après le monument de glauque dépressif  La Secte sans Nom et le très classique mais joliment flippant Darkness (la balançoire !), le gars avait déçu avec un Fragile logiquement sorti en DTV. Parsemé de jolies idées mais plombé par une poésie de midinettes (Callista Flokhart en héroïne. Besoin d’en dire plus ?), une épure qui nelaissait au final plus grand-chose à bouffer et une narration leeeeeeente, le film peinait à laisser un souvenir en relief. Quant à Plaza , on attendait encore qu’il nous captive vraiment (Les enfants d’Abraham, ou le concept rebattu au service du genou mou). Mais on sentait bien qu’un cinéaste se cachait quelque part par là. Nous suivons un reportage orienté divertissement, où une assez sympathique équipe de JRI nous fait vivre une nuit chez les pompiers de Madrid : Angela pétule tant qu’elle peut devant la caméra de son coéquipier. Pendant un quart d’heure de ce qui apparaît comme les rushes d’un sujet de télé-réalité, il ne se passe rien et on s’attache doucement, mine de rien, à ces personnages en quête de biscuit. Une unité que suivent nos reporters intervient dans un immeuble où des hurlements se font entendre, pour trouver dans l’un des appartements une vieille femme ensanglantée. Celle-ci mord à la gorge un des policiers, avant d’être abattue. L’immeuble est bientôt placé en quarantaine. L’équipe de tournage est désormais coincée avec les habitants et les secours devenus impuissants, alors qu’une rage infectieuse se répand parmi eux…

Le premier semestre 2008 étoffe un sous-genre dont le dénominateur commun est le traitement particulier de sa narration : l’histoire est vécue intégralement par le point de vue subjectif d’une caméra intra-diégétique. En gros, on pensera, dans cette typologie, au Blair witch project (1999), au récent Cloverfield et au prochain Diary of the dead de Romero. Problème : ces films tombent tous dans le piège de leur concept à un moment ou un autre. Il ne se passe strictement rien dans Blair Witch, qui n’est intéressant que dans les moments scriptés (c’est-à-dire hors du gimmick de faire du faux cinéma-vérité); Cloverfield s’appuie à 100% sur un concept malin, tellement qu’il en oublie d’avoir un scénar (J.J. Abrahams les mecs !), et Diary se tape des séquences de fuite à la steadycam dans des décors tous dotés d’éclairages de studio (c’est pratique à filmer, l’apocalypse dans la région de Pittsburgh).

Reste [REC] qui, lui, va mettre tout le monde d’accord. D’abord parce que le film est pensé en termes d’immersion totale et de rythme séquentiel, pour devenir rapidement un ride doté de moments de flippe comme on n’en avait connu que dans le premier Silent Hill (le jeu où on est dans le noir hein, pas le film où on voit jusque dans les bords du cadre et les confins de l’horizon), et un peu dans Darkness aussi, justement. Balaguero et Plaza veulent vous faire peur, pas montrer qu’ils sont malins ou faire un cours de mise en scène. Tout est, de fait, orienté vers l’efficacité du récit. Ainsi tout se déroule dans une ambiance quotidienne et malsaine de copropriété, où survient une horreur fulgurante et brutale, et l’on y suit des personnages tour à tour pittoresques ou attachants présentés dans des séquences de pause. Angela est à ce titre fort bien campée en jeune journaliste à l’idéalisme impulsif, juvénile, prompte à s’indigner contre l’autorité. On prend également beaucoup de plaisir à voir Carlos Lasarte dans un rôle très amusant de voisin, à contre-courant du Santini de La Secte sans nom.

Ces séquences, apparemment lénifiantes en soi (beaucoup sont des interviews des habitants de l’immeuble, qui relatent les faits qu’on vient de voir se dérouler), mettent en exergue les séquences horrifiques qu’elles flanquent. Bref un rythme en dents de scie qui, parce qu’il est pensé dans ce but, donne au film le pouvoir de ne jamais lâcher son spectateur, ballotté par les évènements et ne sachant jamais ce qui va(littéralement) lui tomber dessus ou lui sauter au visage.

Cependant, ce ne serait pas suffisant si le script n’était pas au cordeau, et la mise en scène constamment lisible. Car la difficulté de ce type de récit est qu’on ne peut pas utiliser la majeure partie de l’arsenal du découpage et de la narration classiques: adieu plans de coupe, montage parallèle, explications venant de l’extérieur, l’histoire finale comportera des trous plus ou moins béants. Les personnages principaux conditionnant non seulement l’histoire mais surtout la manière dont elle est racontée, on voit bien qu’il est crucial de bien les choisir. Ici, point de crétins parkinsoniens incapables de pointer la caméra dans une direction (bonjour Cloverfield !), pas plus que de docu « sur le vif » avec caméra vidéo qui shoote en 35mm (le Romero donc). En prenant comme personnage vecteur un reporter d’image, c’est-à-dire un type qui sait cadrer rapidement une action qui se déroule devant lui ET courir pour sa vie quand ça pète, le tandem Balaguero/Plaza tape dans le mille. Et décuple le sentiment d’immersion dans une histoire par ailleurs assez classique à laquelle le point de vue appliqué redonne toute sa saveur. Car l’action, aux rebondissements jamais téléphonés (il est impossible de prévoir certaines péripéties, et le teaser tourné dans la salle au festival de Sitgès montre vraiment ce qui vous attend), utilise avec beaucoup d’intelligence les moyens qu’offre le dispositif : une petite fille qui joue avec la caméra nous permet d’entendre une conversation secrète entre la journaliste et le cadreur, caméra elle-même utilisée à bouts de bras pour éclairer une trappe, espionner l’infirmerie improvisée ou voir dans l’obscurité totale via le mode infrarouge… Cependant, conscients que ce dernier procédé à déjà été utilisé, et bien ( The Descent ), les réalisateurs ont le bon goût de ne s’en pas servir pour nous dévoiler une créature quelconque qui se tient derrière un personnage. Le principe est détourné pour nous ramener à une scène de cache-cache claustro héritée de la fin du Silence des agneaux, qui intervient non pas comme un effet de surgissement (« Bouh, fais-moi peur ») mais bien comme séquence d’angoisse organique.

L’histoire, pour n’être pas furieusement originale (c’est le moins qu’on puisse dire), se permet des crochets bienvenus du côté de la mythologie des deux premiers longs de Balaguero (le magnétophone notamment distille des informations qui ont un goût de Secte sans nom ) et, mine de rien, retourne son pitch mainte fois entendu de film de siège (ici l’on n’essaie pas d’empêcher un mal d’entrer, on tente de s’échapper d’une zone en quarantaine où le mal s’épanouit) en le nourrissant d’influences extrêmement pertinentes et bien digérées (tout un épisode autour de la recherche de clés pour un éventuel passage vers les égouts sent très fort le premier Resident Evil de la Playstation 1), puisqu’on sent toujours qu’elles ont, aussi, été considérées cliniquement en termes de vraisemblance. Ainsi, si le récit lorgne vers la télé-réalité (une influence revendiquée), le docu-drama et le reportage de divertissement, la réflexion n’est jamais assénée à coups de boutoir, et toujours sous-jacente. Tout simplement parce quand on est pris dans le feu d’une action où tout ce qui bouge veut vous tuer, on ne se prend pas la tête à deux mains mon cousin sur les implications sociétales de Big Brother comme un élève de Sorbonne 3, on court.

Seule vraie faute de goût, qui sent un peu trop le pamphlet au détriment de la ligne dramatique : une séquence rembobinée « à vue » à la Funny Games, s’avère ici pataude et plante un peu le suspense et le rythme, heureusement suffisamment tôt dans le métrage pour lui permettre de reprendre de l’inertie par la suite. Donc voilà. Un ou deux détails empêchent le film d’être parfait, et il ne constitue pas le monument de terreur viscérale qui vous hantera pendant des mois. Toutefois, le ride se savoure comme un magnifique train fantôme pour adultes (le film fourrage du côté du dérangeant, mention spéciale à un très beau final s’arrêtant exactement ou il faut) et confirme que le cinoche de genre hispanique, devenu très propret ces deux dernières années (le dernier Del Toro, version ratée de l’Echine du Diable, ou encore l’arnaque L’orphelinat, qui impressionne les gens n’ayant pas vu de film de maison hantée depuis la Maison du Diable), est encore méchant et a encore envie de mordre. En tant que film tendu, efficace, qui remplit son contrat (« Tu entres dans la salle à 20h00, et à 21h40 je te repose au sol ») et ne prend le spectateur ni pour un crétin ni pour un thésard, [REC] fait violemment plaisir. Parce que c’est rare ces temps-ci.

-2008

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