Synopsis : Clive et Will, geeks anglais un-peu-inadaptés-mais-on-leur-en-veut-pas-trop-c’est-des-geeks, se font le Comic-Con et un circuit des sites phares de l’ufologie du sud des États Unis. D’amusements bon-enfant en déconvenues minimes ils font leur bonhomme de chemin jusqu’à ce que, par une incroyable facilité de scénario comme disent les Gars en T-shirt, ils tombent sur Paul, alien gouailleur échappé du centre gouvernemental le plus proche. Une cavale s’engage alors pour échapper a des simili-men in black, à la police, à des rednecks, à un fondamentaliste dont ils ont embarqué la fille, etc., tout en contactant les compatriotes de Paul pour lui permettre de rentrer chez lui, en en apprenant plus sur eux-mêmes car sinon tout serait vain et on sortirait déçus.

Non, je vais faire caca chez Paul.

George Lucas. Avi Arad. Stephen King dans les années 90, avant de se réveiller pour finir la Tour Sombre. Mocky après vingt ans de carrière. Les mort-nés de la Nouvelle Vague dès 1965, le Nouvel Hollywood dès 1975, Metallica après le Black Album, Amy Henning après qu’elle ait lâché les Legacy of Kain, ton petit frère qui foire sa seconde après avoir eu 17 à son BEPC, le studio Ghibli depuis cinq ans, et désormais une grosse frange du cinoche dit « geek ». Le point commun des ressortissants de cet inventaire hétéroclite et potentiellement infini, c’est le gâchis. Le gâchis par choix de la facilité, du gimmick vidé de sa substance, du repos à deux oreilles sur les lauriers d’un marché porteur qu’on croit acquis quoi qu’on en fera. Et à peine baptisé donc, le cinéma geek suit cette pente et se scinde en deux franges, l’une très réduite qui tente de faire avancer le bousin plus loin que la simple reconnaissance critique et publique, l’autre, pléthorique, qui sourit béatement à l’aventure du vedettariat, comme disait un illustre vieil anar qui ne se renia jamais (lui). Dans cet ordre d’idée, Paul n’est pas tant un film que de la pêche à la ligne. L’appât, c’est Pegg et Frost, dans leur rôle habituel (et très attachant) de Laurel et Hardy nerds, enrobés dans un fan service frileusement irrévérencieux. ça vous plaît hein ? Ben ouvrez grand pour l’hameçon parce qu’il est très gros et que, si vous êtes entrés dans la salle, vous avez déjà été ferrés, sortis et vidés par les faiseurs, extrêmement cyniques, d’un produit incroyablement méprisant de son public-cible sous un vernis de connivence.

En gros, Paul c’est que du réchauffé, jeté à la va-comme-je-te-pousse à même une assiette en carton que tu boufferas avec ta spork achetée sur Thinkgeek. Une pincée de Dumb and Dumber, un peu d’ET et de Men in Black, une grosse structure tirée de Starman, deux bonnes cuillers de Galaxy Quest et une motte de Hot Fuzzpour masquer l’amertume, en ayant pris soin de bien l’égoutter pour en enlever toutes traces d’Edgar Wright jugées indigestes par la FDA. On touille pas trop, malheureux, les grumeaux donneront l’impression d’une texture. On saupoudre de culture geek bien mainstream (franchement, Star Trek Classic, y’a plus pointu), quelques millions de polygones (très bien faits par ailleurs) qui font des sourires d’affiche Dreamworks, puis on place les hameçons de 22 suscités et on obtient… Bravo, un bien beau remake déguisé d’Howard the Duck. Il ne reste plus qu’à jeter l’infâme brouet obtenu et à se faire livrer une pizza. Et à votre serviteur d’arrêter avec les métaphores culinaires.

Évidemment, avec une telle recette, le film en lui-même est gavant comme un Shrek, c’est-à-dire bourratif tout en laissant sur sa faim (on avait pas dit qu’il arrêtait avec ses histoires de bouffe le plumitif? NDA), et avec ça dramatiquement daté. Basé entièrement sur l’indulgence du spectateur qu’on caresse dans le sens du poil, le film entend bien bénéficier de la mansuétude que ce dernier aura à oublier la totale absence d’originalité de sa facture. Le premier problème de ce principe du moindre effort tient dans la dramaturgie, bien entendu : il résulte en un gros effet de patchwork au niveau du montage séquentiel. En l’état on ne voit, peu ou prou, qu’un empilement de séquences indépendantes les unes des autres, toutes ayant le même découpage plan large/plan serré/plan moyen/champ/contrechamp/plan large/plan moyen, et ayant la même structure interne se résolvant systématiquement à la fin de chaque saynète, ce qui rend le tout extrêmement monotone à se fader. En gros, c’est comme se mater une cinquantaine de courts métrages se suivant vaguement, à la suite, pendant une heure et demi. Il y a bien quelques fils rouges comme l’identité de la taupe qui a aidé Paul, ou celle du mystérieux patron des agents fédéraux (si on ne sait pas reconnaître la belle voix profonde de Sigourney bien entendu), ou encore la relation entre Pegg et Frost teintée de triangle amoureux, mais franchement on est très loin d’une narration tenue. Ne reste donc plus qu’à se laisser porter par le contenu lui-même de ces séquences éparses, et là presque tout est non seulement à côté de la plaque vis-à-vis de son sujet (on se fout complètement du sort de l’extraterrestre), mais surtout en contradiction frontale avec le folklore que par ailleurs le film fait semblant de revendiquer.

Geek, tu veux croire quePaul est un film qui te parle, qui veut rire avec toi en te taquinant gentiment; et ben non, Paulte roule dans la boue, te fait pipi dessus, se moque de toi comme si t’avais la gale, et filme le tout pour te google-bomber avec la vidéo en affirmant dans les mots-clé que t’as adoré ça, lol. En ce sens, il fait exactement le contraire de ce que faisaient justement des Galaxy Quest en leur temps ou Edgar Wright avec l’ensemble de sa filmo, Scott Pilgrim en tête. Car leur démarche cherche à ennoblir la culture populaire qui leur sert de toile de fond aux yeux des réfractaires, mais aussi aux « partisans », à partir d’une vraie érudition sur celle-ci, et en usant d’un vrai respect pour leurs personnages et leur spectateur. Ce respect passe entre autres par le fait, sans s’en prendre à l’individu lui-même, de mettre en perspective les notions qu’il prend pour acquises dans le cadre de ses pratiques culturelles (notamment l’esprit de clocher). Dans ce cadre le fait de tendre au spectateur un miroir parfois désagréable (Scott dans Scott Pilgrim vs the World, ou Syndrome dans The Incredibles) est une marque de respect et même d’évolution thématique. Le principe de Paul est tout différent de ça. Il consiste à profiter d’une connivence facile, à partir de quelques drapeaux blancs destinés à faire croire qu’on est respectueux (les présences de Seth Rogen et Pegg/Frost, les caméos et références à la SF populaire), et d’une irrévérence qui camoufle sous son second degré proclamé le vrai mépris qui se cache derrière.

Attention toutefois, le tout se suit souvent avec plaisir, Pegg et Frost sont parfaits (faut dire,eux sont sincères vis-à-vis de leurs persos, mais alors pourquoi diable ce traitement de leur univers ? Sont-ils perdus sans Wright ?), et même quelques vannes sont vraiment amusantes, comme la version country du groupe de la Cantina, ou l’universalité des réactions quant au dessin de la gonzesse à trois nichons (tout le monde, extraterrestres compris, trouve ça génial, et en même temps c’est vrai que trois nichons c’est assez génial). C’est précisément ça qui pose souci, car ce plaisir immédiat fait passer en contrebande, sous la bannière du « mais non j’déconne tout ça c’est pas sérieux », un discours qui foule au pied toute cette culture geek. Ne t’y trompe pas mon amie, ma soeur, mon grocoupin, mon camarade, mon presque moi, « tout ça c’est pas sérieux », ça s’applique ici en premier lieu aux cultures de l’imaginaire elles-mêmes. L’exemple le plus fameux de ce discours (tout le reste est à l’avenant) est le traitement réservé à Steven Spielberg, dans la séquence où il se fait littéralement dicter au téléphone le pitch de ET par Paul, lui-même assis dans le hangar de Raiders of the Lost Arch. Voilà donc l’un des plus gros bosseurs d’Hollywood, un homme qui a influencé l’imaginaire de plusieurs générations de cinéphiles (geek ou pas), qui a redéfini à plusieurs reprises le média cinématographique tant d’un point de vue technique qu’économique ou thématique, le voilà donc ravalé d’une pichenette au rang de copiste servile sans une once d’imagination. Et qu’on vienne pas dire que c’est une interprétation parano, le film lui-même confirme ce propos en le répétant sur le sous-pitch du bouquin de Clive, qui ne devient un succès artistique et commercial que lorsque celui-ci se borne à raconter sa rencontre avec Paul… L’imaginaire, les enfants, ça sert à rien, ça fait même de vous une pauvre cloche. La foi au sens large aussi d’ailleurs : une simple imposition de la main de la mascotte sur le front et on est inondé de connaissance, doué de la science infuse (sans aucun effort d’apprentissage, ça aussi c’est pour les cons) et abandonnant en toute logique toute velléité de penser plus haut et plus loin que soit (i.e. l’imagination) puisqu’on est soi-même le pinacle de l’esprit. Bien entendu le film fait passer ça par le mépris ostensible, en ridiculisant sans distinction la notion même de fait religieux (l’une des localités de l’imaginaire) via des figures de fondamentalistes redneck, qui ne manquent pas de provoquer moult ricanements entendus. Et, dernier tour de passe-passe cynique en diable, une poignée de séquences-émotion clé-en-main, tellement tayloristes et mécaniques qu’elles donnent envie de décrocher le fusil du râtelier, emballent le tout pour lui donner, manifestement, du sens. Sens qui aurait manqué, sinon, hein, on n’allait pas faire que de la SF quand même.

La salle, elle, feint de ne pas s’en rendre compte, se laisse flatter d’une main gantée pour éviter la contagion, et rigole. Un extraterrestre qui fume des blunts et dit fuck, c’est suffisant pour se croire subversif, malin, et aussi iconoclaste que, disons, Philippe Manoeuvre. Eh, ça tombe bien, il fait la voix française.

Faire la promotion dePaul sur GeekCulture, ce serait comme filer des DVDs de Tom-Tom et Nana à un gamin en lui disant que c’est amusant et éducatif : un gros bol de FAIL.

-2011

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