X Men First Class – M. Vaughn

A une période où le film de superhéros est devenu un genre en soi, avec quelques locomotives et des brouettées de tout-venant allant du moyen-moins au honteux, l’un des plus illustres instigateurs de la vague reprend en main son bébé, y engage les bonnes personnes et leur fait faire un vrai film. Ça y est, ils ont compris !

Matthew Vaughn n’est pas Brett Ratner, ce qui n’est pas la moindre de ses qualités. Dis comme ça, ça semble évident, et pourtant, X Men 3 avait tristement confirmé la malédiction des derniers actes de trilogies dans le monde du comic book filmé (Blade TrinitySpiderman 3), devenue depuis peu une malédiction des seconds actes (Iron Man 2, le Hulk de Leterrier). Le cœur du problème? Le mépris du médium adapté et sa réduction à la seule notion de franchise commerciale, corrélable à une simple équation comptable résultant d’une formule à reproduire sans réfléchir. Pusillanimité crasse de la narration, négation des enjeux thématiques, infantilisation des enjeux humains dans le but de simplifier au maximum la mythologie de base, et partant de ratisser large pour engranger du pognon rapidement et durablement (i.e. garder ses positions sur un terrain financièrement juteux). On citera en exemple le projet Avengers, dont les films préparatoires tirent méchamment la tronche par leur absence quasi-totale d’enjeux dramatiques et physiques, dans le but évident d’économiser les cartouches d’une saga surestimée. Autrement dit, on construit une série au détriment strict de ces éléments constitutifs essentiels. Marvel et Fox tâtonnent depuis quelques années à ce titre, dans les séries susnommées mais aussi avec les X Men, qu’elles ont failli détruire irrémédiablement en raison de choix scénaristiques, esthétiques et cinématographiques calamiteux (Last Stand et Origins : Wolverine, dont il serait fastidieux de détailler la tératologie), niant souvent les acquis des efforts précédents en termes de caractères et de propos.

L’ironie est bien sûr plaisante, après qu’il ait été « démissionné » de Last Stand (encore une fois, ici n’est pas le lieu de refaire le feuilleton, cent fois exposé ailleurs, de cette production dont le chaos et le je-m’en-foutisme ont donné le résultat qu’on sait), de voir Matthew Vaughn imposé sur First Class par un Bryan Singer qui tient à réinstaller ses mutants de pellicule dans les standards qualitatifs qu’il avait jadis imposés. C’est aussi qu’entretemps, le très rentable Kick Ass est passé par là et a impressionné son monde précisément sur tout ce qui fait défaut au Ratner et à Origins : une écriture envisagée comme telle (c’est-à-dire pas comme un collage tayloriste de séquences débilitantes), des enjeux dramatiques effectifs (les personnages encourent de réels dangers), des ruptures de ton maîtrisées et des personnages traités avec le respect qui sied, formule reprise ici scrupuleusement. Le retour de Vaughn, mais aussi le synopsis du film, montrent assez la volonté de faire non pas table rase des errances passées (le numéro 4 est en projet, la suite de Wolverine sur le feu), mais de revenir ostensiblement à une sorte de pureté originelle du concept : un temps, pour les X Men, « d’avant la chute » si l’on peut dire (celle de Magneto, mais aussi de la franchise). Nous sommes ici en 1962, autant dire que tout est à nouveau à construire tant narrativement que thématiquement. Le terme à la mode de reboot, pour le coup, est justifié et permet de partir d’acquis indéniables dont la familiarité et l’investissement du public pour l’univers et les personnages, tout en laissant sous le tapis certaines erreurs embarrassantes (« I’m the Juggernaut, bitch !!!« ).

Effet positif indéniable de l’opération, le relâchement des contraintes intenables d’une franchise trop lourde libère enfin le potentiel thématique du projet. Joie : on ose enfin aborder frontalement les enjeux idéologiques, politiques et anthropologiques de la mythologie X Men, ne se contentant plus de simplement les placer dans un arrière-plan nébuleux, ou de les circonscrire dans un seul personnage de méchant fatalement lénifiant (même si Stryker fait une apparition dans le film). Le film cite directement le premier de Singer en reprenant en ouverture la séquence du jeune Magneto dans le camp de concentration, et construit de là sa dramaturgie en faisant d’emblée entrer en scène Sebastian Shaw pour le faire deviser sur l’eugénisme nazi. Les prérogatives du Hellfire Club, dont il est plus tard présenté comme dirigeant, sont ainsi un peu éludées (sur papier, le club est réservé à une certaine aristocratie, son idéal est avant tout basé sur la réplication sociale et l’influence occulte) pour être redirigées vers la notion d’évolution darwinienne et sa lecture biaisée par les suprématismes. Les années 60 sont ensuite utilisées à plein régime pour continuer à fouiller dans les plaies de cette rhétorique des luttes raciales. Le récit prend donc place à une époque où les manichéismes ne font pas que s’opposer, mais se justifient et s’entrecroisent les uns les autres : oppositions raciales, économiques, politiques et culturelles se rejoignent sous la même bannière rhétorique (pour simplifier, une notion globale de lutte héritée du XIXeme siècle), les différences ne portant in fine que sur les folklores utilisés en effigies.

Ainsi l’opposition de caractères et d’idéal politique entre Lehnsherr et Xavier transpose celle, bien réelle, entre Malcom X (prônant la guerre civile et armée) et Martin Luther King (non-violent systématique), ce que faisait déjà le comic book dès 63. Là où le film fait fort, c’est qu’il interroge à l’égal ces deux démarches en caractérisant « à charge » aussi bien Xavier que Magneto : adieu l’attitude monacale de super-gentil en fauteuil roulant, bonjour le gosse de riches qui drague avec sa télépathie et son gros QI dans les swingin’ sixties de la Nouvelle Angleterre. Son discours de respect et d’intégration entre mutants et humains, Xavier le tient avant tout parce qu’il peut se le permettre, contrairement à une Mystique dont la condition est visible. Elle constitue d’ailleurs l’un des enjeux de sa joute idéologique avec Lehnsherr, dont le romantisme radical du discours cache mal sa rigidité, son manque de perspective, et l’égoïsme de ses motivations (S’il poursuit Shaw, c’est par vengeance – il ne conteste en aucun cas son discours d’extermination des sapiens qu’il reprend à son compte). La crise des missiles cubains catalyse à point nommé les cataclysmes à venir (guerres entre nations, entre espèces, entre factions de mutants), dont l’idéologie est à la fois la force motrice et le simple alibi. Les relations entre des personnages pour la plupart finement caractérisés explorent plus avant toutes ces notions, avec toujours ce soucis d’aller voir plus loin qu’un discours simpliste : la seconde mutation de Beast, malgré son aspect « fable édifiante », illustre bien la situation dans laquelle se trouvent les mutants désormais communautarisés. Il est d’ailleurs à la base « outé » par Xavier (certes par inadvertance)…

La mise en scène prend assez brillamment le relai de ce discours sur une époque, en en émulant l’ambiance particulière, toute de high tech suranné et de candeur insouciante, sur fond d’horreurs et de dangers idéologiques multiples. On glose ici et là sur le talent de Vaughn à s’approprier les imageries, et en effet le bonhomme s’y entend pour nous ressortir les bonnes vielles fragrances d’un On her Majesty’s Secret Service, d’un In Like Flint, et surtout d’un Diabolik. Il faut voir Magneto traquer d’anciens nazis (pour son propre compte) dans une taverne argentine, ou attaquer le yatch de Shaw en combinaison de plongée (on pense souvent à John Philip Law ou à George Lazenby) pour avoir une idée du travail sur l’évocation des 60’s, mais surtout sur leur appropriation par un projet qui en fait son essence même. Les bémols habituels sont bien entendu présents, certains mutants assez insignifiants ou réduits à la figuration (Riptide, Havok, les jeunes mutants en général…), quelques dialogues ne sonnent pas très bien (« Neeeeiiin!« ), mais le principal est là : de vraies scènes d’action bigger than life et narratives, des mutants charismatiques, bien joués et beaux (Azazel, Mystique, et un Kevin Bacon absolument visqueux en Shaw), des trajectoires de personnages complexes et émouvantes (James McHavoy est décidément à suivre, Michael Fassbender est incroyable) et une mythologie respectée par son adaptation, ce qui est rarissime. Vaughn est en constant progrès, Singer a repris la barre, et d’autres feraient bien de s’en inspirer. Car First Class réussit là où le récent Thor échouait : c’est un film réellement intelligent avec un récit réellement épique (des personnages meurenttuent, vivent des évènements), des personnages réellement attachants, des situations crédibles, un spectateur respecté et même des cameos réellement amusants. Et le tout a le bon goût de ne pas être en 3D.

-2011

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