Le vilain – Albert Dupontel

Pour sa quatrième réalisation, Albert Dupontel reste dans la veine d’Enfermés Dehors, celle de la comédie cartoonesque/humaniste. Alors bien entendu le film met KO un régiment de petits Nicolas avec une main dans le dos (on n’en doutait pas en même temps), mais on sera en droit de préférer les efforts précédents de Dupontel, qui faisaient moins de concessions à la bienséance.

Le bon Dieu a frappé Maniette d’invincibilité. C’est la faute de son fils, bien plus méchant qu’elle le croit : il est en cavale depuis une vingtaine d’années, ce qui constitue la suite logique d’une carrière dans la délinquance et la vilénie lancée dès son âge tendre. Il se réfugie justement chez elle, traqué par des complices. C’est là qu’elle découvre le pot aux roses et se lance dans une lutte homérique avec son rejeton pour le racheter de ses fautes vis-à-vis des gens du quartier dont il a jadis détruit les vies. Le vilain survivra-t-il à la police, à son médecin, au promoteur véreux qui veut raser le quartier et à la terrible rancune de Pénélope, sa vieille tortue suppliciée ?

Pour ce qui est de ses participations aux films des autres, Dupontel fait penser à Busta Rhymes dans le hip hop : un type avec un talent monstrueux, qui connaît son travail sur le bout des doigts, mais qui fait des featurings avec un peu n’importe qui. En revanche, sur ses projets personnels il a une constance qui fait peu de cas des effets de mode. Quoi qu’il arrive, même en passant le cap du « j’ai quarante berges, j’aimerais faire des films que mes mômes puissent regarder » (ce qui rendait parfois Enfermés Dehors frustrant), l’homme se fend toujours de références à un certain esprit trash des années 80, avec l’aspect « fuck it all » de l’époque où il sortait de la misère en faisant les Sales Histoires avec Vuillermoz. Les meilleurs moments et idées du Vilain sont dans cette veine : antique trafic de neo-codion, arnaque au fauteuil roulant (là c’est carrément toute une sale histoire qui se retrouve dans la séquence), pièges à la Tex Avery, tags gravés sur la tortue et courses-poursuites à la mise en scène joliment dynamique.

Le – petit – bémol, c’est que parmi ces séquences réjouissantes comme une annonce de prison ferme pour Pasqua (les 80’s, le trash, tout ça), on jurerait qu’une partie du métrage a été emballée par une seconde équipe, et que cette seconde équipe officiait avant ça sur des courts-métrages de fin de cursus FEMIS. Il faut quand même faire un petit effort, lors de l’ouverture du film, pour ne pas trop se rembrunir, et attendre l’arrivée de Dupontel à l’écran et à la réa… Tout y est : générique de photos kitsch sur lit de papier peint trop décalé de mémé, lumière qui embaume le studio à vingt lieues à la ronde, plans extérieurs de mouvements d’appareils à la fois ostentatoires et cadrés un peu platement, jusqu’à une voix off assez envahissante qu’on entend heureusement assez peu par la suite (mais qui reste redondante). Entre ça et l’aspect gentillet de certains dialogues ou situations, on se prend de loin en loin à regretter le chat Momo et les « kenavo les bouseux » de jadis.

Attention, cet aspect « sucrerie grolandaise » est nettement moins omniprésent que dans Enfermés Dehors où le discours social, au demeurant de très bon aloi, devenait irritant à force d’être asséné. De plus, l’humanisme affiché du Dupontel cinéaste est sincère et raisonné, là où souvent ce n’est qu’une pose assez snob (le premier qui cite trois chantres du théâtre bien mis ayant fait un peu de beurre sur Canal +, j’y offre un bretzel). Enfin, une comédie française qui n’est ni sinistre, ni lénifiante, ni stupide, c’est un tour de force. Car le film est drôle, très même. Bien écrit (les péripéties sont plus imbriquées et moins gratuites qu’on pourrait le penser à première vue), bien joué (ça fait plaisir de voir Catherine Frot dans un rôle un peu inhabituel, ça change de l’impression de pilotage automatique qu’il lui est déjà arrivé de donner) et peu manichéen  (bon, y a quand même du méchant promoteur irrémissible), Le Vilain est absolument réjouissant les quatre cinquièmes du temps, peuplé de conneries magnifiques qu’on se raconte comme des crétins en sortant de la salle (vous allez adorer le médecin et la poubelle à chats) et de personnages que leur auteur aime vraiment. La gentillesse d’unetelle n’est pas con-con, la méchanceté de tel autre n’est pas systématique, et le traitement des uns et des autres échappe à un moralisme de bazar pour faire évoluer l’histoire dans la direction qu’elle réclame, et avec une vraie ambition visuelle la plupart du temps : quand on mentionne Tex Avery, c’est tout à fait justifié, et la direction artistique est d’une rare finesse. Au final, la seule véritable déception vient d’une retenue encore trop manifeste dans la férocité, même si de ce point de vue il y a eu de gros progrès depuis le dernier. Au prochain film, il l’aura trouvé le dosage entre ses élans Amélie-Poulinesques et sa veine « historique » de décapitateur d’oiseaux hirsute. Vivement. Ah, et Bignolas est un con. Envoies-y pas dire, Albert .*

*Voir à ce titre le « clash » lors d’une interview où le passe-plats déclarait fièrement n’avoir pas vu le film dont il était censé parler.

-2010

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