Moon – Duncan Jones

Sam Bell est l’unique employé sur site de la compagnie minière Lunar Industries, consortium qui extrait l’hélium 3, source vitale d’énergie, sur la maison des sélénites. Son contrat de trois ans prend fin d’ici peu et il a hâte de retrouver son épouse et sa fille, d’autant que son seul interlocuteur sur la base est Gerty l’ordinateur de bord et que sa santé se dégrade. Après un accrochage bénin dans l’une des moissonneuses, il se réveille à l’infirmerie sans réel souvenir, et part inspecter le véhicule accidenté…Pour y découvrir un autre Sam Bell, commotionné, qui s’avère être son clone.

Alors ils l’ont tous fait, le jeu de mots moisi autour du Major Tom, on le fera pas ici. Oui, Duncan Jones est le marmot de David Bowie, ça c’est pour la partie people.

Voilà, ça, c’est fait, maintenant on peut s’en foutre, c’est pas la rédac de Elle ici.

Parce que Jones, il en a dans la caboche et dans le CV, il en avait déjà avant ce premier long qui montre aussi qu’il en a dans le fute. Faire un film de SF dans le circuit indépendant, austère, avec des maquettes et un ton résolument 70’s, un pitch qui ne multiplie pas les sous-intrigues et ne joue pas la carte du twist pour avoir l’air astucieux (on découvre le pot aux roses dès la fin du premier acte), y’a pas, c’est couillu. Tenir l’exploit sur tout son récit, c’est carrément de la grâce. Bien entendu, le terrain est assez balisé, que ce soit esthétiquement ou sur le plan philosophique : les citations abondent parmi les plus évidentes et la réflexion ne vous retournera pas les sangs, c’est le moins qu’on puisse dire. Sans forcer, on trouvera de la solitude à la Silent Running, du dialogue avec ordinateur et des sorties spatiales à la 2001, du travail à la Outland, des visions qui lorgnent vers Solaris, des couloirs à la Alien (en même temps, c’est intégralement tourné aux Shepperton Studios), des réflexions génétique/humanité/finitude tirées de Blade Runner, de l’héroïsme qui rappelle Sunshine, un final à la Gattaca… Et pourtant le film surprend à sa manière douce et poétique, porté en cela par la très belle musique de Clint Mansell et une photographie qui n’en fait pas trop (c’étaient les délires de lentilles qui plombaient le final de Sunshine justement). Partant de concepts durs (l’instrumentalisation du vivant, la déshumanisation face à l’économie, la vanité des démarches d’amélioration de soi), Jones tire son film sinon vers un optimisme, en tous cas vers un ton plus solaire qu’on aurait pu l’envisager, et évite le cynisme facile qu’on aurait pu trouver dans un tel exercice. Et la caractérisation de(s) Sam échappe – un peu – à la routine des représentations de « gars tout seul » de la SF moderne : même si le premier Sam taille du bois pour en faire une maquette, parle à ses plantes et fait de la gym, il ne passe au moins pas de longs moments à regarder par la fenêtre ou à jouer aux échecs contre Deep Blue. La manière de poser le personnage s’affine et s’affirme lorsqu’il est confronté à son clone, autre lui-même plus jeune de trois ans de solitude, qui constitue une sorte de version plus immature de lui, plus impulsive, mais aussi plus volontaire.

Mis à part en ce qui concerne la compagnie (qui a de sévères relents de Weyland Yutani), donc, pas de manichéisme excessif, l’opposition de caractères n’étant jamais tranchée en bon/mauvais entre les Sams. Surtout, et c’est le point qui paradoxalement touche le plus au niveau émotionnel, Gerty n’oppose pas une logique froide aux considérations des Sam (l’imagerie Maria/HAL/Mother qu’on applique sans trop réfléchir d’ordinaire), bien qu’il soit à la base programmé comme agent de la compagnie, et il se pose en figure la plus humaniste ici. Si c’est lui qui active, successivement, chaque nouveau clone lorsque le précédent est arrivé en fin de vie, sa programmation asimovienne le pousse à considérer chaque nouveau Sam comme LE Sam, et donc à l’aider, coûte que coûte. Au final, le taylorisme ultime appliqué aux clones (durée de vie limitée, systèmes de coercition induits, tâches simplistes) les rend potentiellement moins humains que peut l’être un simple ordinateur (1)… Jusqu’à ce que deux de ces clones en viennent à se rencontrer et à créer de nouvelles interactions. En résulte une réactivation de ce qui fait leur essence, voire leur humanité, qui se traduit par une propension retrouvée à la rébellion et un désir de plus d’interactions (i.e. un retour sur Terre). Dans son film sur la solitude, Jones ne dis rien d’autre que ça : l’homme est un être social dont le supplément d’âme tient dans le flux des interactions. On pense bien entendu à Dennett et ses théories neurobiologiques, puisqu’on est dans une pensée de la cybernétique où la liberté s’acquiert via les moyens de communication (la destruction des tours de brouillage, le fait de rendre publiques les pratiques de la Lunar).

Pour porter ce message humaniste, Jones a choisi Sam Rockwell (en fait il revendique avoir carrément écrit le film pour Rockwell) qui y va lui aussi mollo sur les effets dont il est coutumier et du coup, joue tout simplement bien, sans doute plus occupé à être synchro dans les prises où il discute avec lui-même qu’à faire son numéro. L’empathie fonctionne à fond et même si on ne mise pas beaucoup de kopeks sur le métrage de prime abord (de la curiosité, oui, mais il est facile d’être d’abord rebuté par le rythme très lancinant), on se fait au final cueillir comme une midinette face à des exploits dérisoires, loin de l’héroïsme clinquant revenu à la mode. Comme la technique suit impeccablement de bout en bout (putain, ces scènes d’extérieurs !) on sort assez chamboulé de l’expérience avec le thème du score dans la tête pour au moins trois jours. On regrettera bien entendu que l’histoire n’aille pas un poil plus loin (en confrontant par exemple les Sam à leur original revenu depuis belle lurette sur Terre) mais en louant tout de même la limpidité du récit. C’est sans doute le prix de l’entreprise de Jones que de faire adhérer sans réticence ses interlocuteurs (ça c’est nous) à son histoire, finalement toute simple.

Tout simple, bien entendu, c’est ce qu’est le DVD français délesté de quasiment tous ses compléments visibles sur les galettes d’outre-Manche-et-Atlantique, ce qui est franchement pénible. Propre, rien qui dépasse, particulièrement dans un making off strictement promo (un quart d’heure, un trailer, et puis s’en va), et après un supo et au lit demain y’a école. Bah, c’est un DVD France Télévision, on a l’habitude. Remember les coffrets de Doctor Who sans VO ni épisodes spéciaux ? Eh les mecs, ça vous écorcherait la gueule de nous mettre aussi les trucs intéressants dans vos disques (même pas de les fabriquer, juste de les remettre à leur place) ? Vous voulez vraiment qu’on n’aille plus se fournir que sur les sites en .co.uk ?

Pas révolutionnaire, pas prétentieux, le film de Duncan Jones. Si on vient pour se prendre la tête à deux mains mon cousin, on pourra être déçu, mais ce serait oublier que la sincérité de l’entreprise et de l’histoire sont la raison d’être de ce projet qui est tout simplement, au final, émouvant dans sa facture. Ce que d’aucuns qualifieront de naïf, mais est en vérité la marque de la maturité de son auteur, qui ne se laisse pas submerger par l’aspect hard science de son univers, ni par les implications discursives des évènements qu’il relate, et garantit constamment la fluidité de son métrage. Allez, on fait pas sa mauvaise tête et on oublie le cynisme, les enfants. Regardez, c’est vraiment un joli film.

(1) Gerty est d’ailleurs définitivement adoubé comme personnage avec l’épisode du post-it, vers la fin.

-2010

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