Last Exorcism – Daniel Stamm

Ç’aurait pu mais non

Synopsis : Cotton Marcus, pasteur évangéliste roublard, perpètre pour la dernière fois un de ces faux exorcismes qui ont fait son beurre, chez de pauvres gens qui y croient et pour une équipe de reportage, afin de « faire publiquement la lumière sur cette arnaque ». Mais à mesure du travail sur la jeune Nell, ainée d’une famille recluse au père très pieux, la situation se complique, s’intensifie, jusqu’à bouleverser les convictions des visiteurs quant à la nature réellement démoniaque du problème…

Attention : ce papier contient quelques spoilers. Mais vu la manière dont le suspense du film est mené, c’est pas bien grave.

Sur le site officiel du film, à la section cast and crew, l’équipe technique compte 5 courtes lignes, dont trois tenues par des postes de producteurs, ce qui donne un bon aperçu des intentions de l’entreprise, à savoir fabriquer du buzz, n’importe comment, autour de n’importe quoi, pourvu que ça fasse des entrées. De fait, tout y passe: affiche blanche de type séquelle de Saw, faux site de l’exorciste malheureux, rigolo mais totalement hors de propos (étant donné la fin du film, pourquoi la nier en montrant le début du climax, sachant que le concept de found footage invalide complètement cette fictionnelle insertion : les agresseurs de l’équipe sont donc en possession des codes d’accès du site de Mr Marcus?), marketing viral sur Chatroulette (non mais sans déconner, et pourquoi pas un Twitter du faux cadreur du film? « On est poursuivis dans les bois, lol »), citations de critiques superposables à la virgule près avec ce qu’on pouvait lire sur les affiches d’un Paranormal Activity… Qu’en est-il du film ainsi servi ? Et ben ça se confirme les amis.

Ça démarre pourtant avec quelques atouts, c’est même parfois intriguant. La direction artistique se tient pas mal dans sa peinture des états ruraux et pauvres du sud des Etats Unis, avec une ambiance redneck/white trash plausible voire par moments authentiquement oppressante. On pense même parfois à un Jeepers Creepers pluvieux. Le cast est aussi intégralement bon et crédible (personne n’est réellement connu, ce qui n’est pas pour nuire au vérisme des situations), c’est d’ailleurs manifestement la partie de l’équipe qui croit le plus à ce qui se passe sur cette prod. Les trois membres de la famille Sweetzer jouent avec justesse (mention spéciale au petit frère) et la jeune possédée fout les jetons à une ou deux reprises… Une poignée d’idées pas mauvaises ressort également (l’évocation de la possibilité d’un inceste, l’annonce d’évènements futurs par les dessins de Nell, l’alcoolisme et le fanatisme du père), mais tout cela est noyé dans un gloubi-boulga de scénario et surtout de réalisation qui passent rapidement de l’imbitable à l’imbuvable.

Ce qui agace vraiment avec Last Exorcism, c’est qu’il pue le projet de gros malin à 500 lieues à la ronde, et s’aliène la sympathie qu’on voudrait mettre dans l’histoire sur la base de ses quelques éléments bien foutus. S’il parvient à retrouver l’ambiance des séquences réussies de Blair Witch (celles du début et de la fin, c’est-à-dire celles qui étaient effectivement écrites), Stamm cherche tellement à lui en remontrer qu’il en méprise complètement la grammaire. Il n’abusera donc que les plus crédules et les morts de faims qui en on marre d’essayer d’avoir peur devant les infâmes remakes de Freddy qu’on nous sert depuis deux-trois ans. D’abord,  le trip de nous balancer douze fausses pistes pour faire un twist qu’on voit venir depuis la fin du premier acte, option « Ah! J’vous l’avais bien dit ! » et qui nie en partie les péripéties qui péripétiaient joyeusement quelques minutes auparavant (cf la blessure du frangin). Climax non seulement enfoncé à la va-comme-je-te-pousse au mépris de la structure de l’histoire racontée, mais manquant aussi singulièrement de générosité : si vous vous voulez voir un démon, rematez-vous l’Exorciste en image par image.

D’autre part, et là c’est quand même franchement impardonnable, il y a ce fait de vouloir le beurre et l’argent du beurre, avec la vanité de vouloir s’arroger l’aspect cinéma-vérité (oh le vilain mot) en jouant le sous-genre du found footage (après tout y’aura bien quelques préados adeptes de spiritisme qui seront foutus de croire que c’est pour de vrai. C’est du bon buzz, ça, coco.), tout en se faisant passer pour un grand architecte du cinématographe qui peut tout se permettre grâce à son génie de la mise en scène. Rappelons tout de même que le genre susdit est comme un chiot de race, il réclame qu’on s’occupe de lui, qu’on le bichonne, qu’on lui donne uniquement la bonne nourriture et le bon environnement ; sinon, il attrape des vers et il tombe malade, et après on peut plus frimer avec. Bref, le film en cam subjective (pour faire intelligent on dira « en occularisation directe » ça fait plus joli dans un mémoire) ne s’accommode pas de tout un pan de l’arsenal cinématographique tel que champs/contrechamps, musique et autres sons en off, monologues intérieurs, flashes-back, ou  intervention de tout élément dont on ne peut pas justifier la présence effective dans l’ici et maintenant de l’univers dépeint. Toutes ces règles, Stamm se mouche avec. On aura donc de la musique, des sons derrière des portes que les micros ne pourraient pas choper (ou alors je veux les mêmes), de la « vidéo numérique » qui ressemble furieusement à du 35mm (elles font bip les Arriflex?), et du découpage merveilleux d’invraisemblance. Ainsi, le deuxième exorcisme de l’histoire, « véritable » celui-là, et qui a lieu dans la grange, se verra servi par un fond musical et des raccords internes à la continuité venant de huit angles différents… Voilà bien une manifestation surnaturelle : le cadreur se change en calmar géant doté de huit caméras ! A trop faire son gros malin, Stamm nous éjecte irrémédiablement de son histoire et ne parvient qu’à énerver. C’aurait été trop demander de réduire le budget pub de moitié et de consacrer la thune ainsi économisée à une correction de script, et peut-être un assistant réa pour dire au grand chef quand il merdait ?

Propulsé par une ou deux bonnes intuitions, mais mal conduit par l’orgueil de son réalisateur et jamais remis sur ses rails par une boîte de prod trop occupée à jouer les web guru, Last exorcism est un ratage, parfois amusant, que ses rares qualités rendent d’autant plus énervant au sortir de la salle. Même s’il ne mérite pas non plus un autodafé de ses négatifs, il n’est vraiment, mais alors vraiment pas indispensable. Juste à considérer comme un exercice de style d’autant plus vain qu’il est pris par-dessus la jambe.

-2010

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