Dieux qu’il est difficile de causer d’un film quand c’est une pure tuerie qui se suffit à elle-même, surtout à notre époque internetienne où une logique locutive de commando/troll/j’te-mord-l’oeil constitue le réjouissant ordinaire. Problème du rhéteur perché sur ce petit bout de script php d’où il vous fait signe à l’instant même : Buried c’est bien mortel nom d’un chibre en tek.

Buried jouit d’un buzz énorme et une fois n’est pas coutume pleinement justifié. Buried retourne tous les festoches où il va et s’est taillé la part du lion à l’étrange festival (prix Nouveau Genre et contrat de dif’ avec Canal Plus). Et paradoxalement il n’y a pas grand-chose à dire sur ce Buried, à part une poignée de généralités et des constats qui seront nécessairement un peu plats par rapport à un film étonnamment sensitif pour un truc filmé dans le noir et une boite d’un mètre cube .

En général, les films-concepts c’est très bien une demi-heure et après ça se délite et ça devient tout pourri. Pourquoi? Non pas parce que leur concept ne tient pas plus de quatre rounds, mais parce que le conteur (réa, scénariste, souvent les deux) jette l’éponge à quatre rounds. Lapalissade numéro 127 : une idée bien troussée ne suffit pas ; il faut surtout des responsables qui savent ce qu’ils font et dotés d’une bonne livre de gonades pour tenir leurs promesses jusqu’au carton de fin. Film-concept par excellence, et même presque jusqu’à la caricature (un type dans un cerceuil, avec la caméra, un téléphone, et presque rien d’autre), Buried est ni plus ni moins que miraculeux. Grâce à son script bien entendu, malin comme un corbeau de St Eustache, mais aussi par une mise en scène diablement virtuose, mais virtuose sans recours au moindre ralenti ou à des mouvements de caméra de ouf. La virtuosité de mise en scène qu’on connaissait par exemple chez le Carpenter de la grande époque (à tout péter, on citera en exemple The Thing et son découpage incroyablement classieux sans jamais être ostentatoire). Vraiment un raisonnement d’un autre temps tant des flopées de clippeurs font désormais des carrières sur trois effets d’appareils, quatre de lentilles, et douze jumpscares par bobine.

Le concept de Buried, ou plutôt sa réussite, ne tient pas tant dans son pitch übertendu que dans sa pleine acceptation des implications de son traitement, à savoir une inversion du dérisoire et de l’hyperbolique. Le moins que rien est gigantesque, le grandiose n’éxiste pour ainsi dire pas si l’on n’en sent pas les effets les plus locaux. Etant donné l’espace et le temps confinés dans lequel se situe le personnage principal, deux F14 balançant un tapis de bombes sur une ville irakienne (Michael Bay devient tout rouge, s’étrangle un peu et doit aller changer de pantalon) sont plus anodins que le fait de trouver la sélection des langues sur un téléphone pour pouvoir en comprendre les menus (votre petite soeur de treize ans hausse les épaules de dédain). Il faut dire que dans ce monde totalement confiné que constitue la boîte, le moindre geste (se retourner, attraper un objet, voir ce qu’on fait, respirer) devient un exploit, le moindre trou dans une paroi est une bouche biblique qui vomit des horreurs apocalyptiques, la moindre phrase entendue dans un téléphone à 20 dollars devient la plus importante que vous entendrez jamais. On oubliera d’ailleurs à cette occasion et avec joie les poignées de séquences émaillant le cinoche et la télé récents, qui capitalisaient sur l’inhumation de personnes vivantes, en particulier celle de Kill Bill – pillée de Frayeurs – qui annihilait toute tension dans un long flashback (difficile donc d’étouffer plus de 35 secondes d’affilée) et une résolution je-m’en-foutiste de sa situation initiale (bah tu vois tu pètes le bois tu vois, et après tu nages dans la terre et tu sors tu vois, c’est cool, c’est facile tu vois).

Rien de tout ça dans Buried. On nous montre un type qui lutte contre une mort certaine là, t’es pas dans ta banquette de MK2 avec ta réduc « cinéphile bon teint Libé a dit que c’était un bon film citoyen et y’avait plus de places pour le Maïwen » (oui bah ils en feront bien une un de ces quatre). On est dans le noir. On a peur. Un téléphone sonne et une voix agressive nous dit qu’on va crever si, avec le tout petit matos qu’on nous a laissé, on n’arrive pas à décider des gens à cracher des thunes.

Ce qui est très fort dans ce film, c’est d’abord la manière dont les péripéties successives subvertissent le simple suspense d’exploitation du postulat de base, pour en faire d’abord une expérience de transitivisme (j’ai l’impression d’être enfermé aussi, j’ai peur), ensuite un commentaire socioculturel (putain c’est trop abusé ce que le gars du consulat lui dit, j’ai peur), et enfin un drame universel (merde je vais mourir aussi un jour et ça a aussi des chances d’être dans la solitude et la misère, j’ai peur). Beaucoup de récits de tous métaux se contentent actuellement d’une de ces occurrences au choix, d’un seul niveau de lecture si on veut résumer. Certains auteurs se vexent d’ailleurs très fort quand on leur fait remarquer que c’est insuffisant : que le premier nazi qui n’a pas pleuré devant La Rafle nous jette la première pierre.

Le commentaire socioculturel de Buried est intéressant tout de même dans son ambition et son économie de moyens rhétoriques. Parce qu’il va plus loin que la simple saillie de chansonnier voulant que la guerre en Irak c’est pas bien et que tout ça c’est la faute à Enron, même si cet aspect est brièvement traité dans la raison même de la présence de Paul sur le territoire, et surtout via un bout de dialogue merveilleux de simplicité : Lors d’un des bouffages de nez entre Paul et son ravisseur, le premier répète au second ce qu’un col-blanc quelconque vient de lui dire, que « nous ne négocions pas avec des terroristes ». Rire amusé du tortionnaire putatif, « alors puisque tu es terrorisé, je suis un terroriste? ». Et c’est tout. Et ça suffit. Depuis une poignée d’années, bien d’autres films se sont déjà chargés de pointer un doigt accusateur vers qui de droit, en long, en large, plus ou moins bien selon les cas, et discourir sur le sujet n’est juste plus l’irrémissible priorité. Le contexte est là, mais peu malin celui qui croit que ce contexte est réductible à la seule politique étrangère américaine.

A ce titre le film de Rodrigo Cortès est construit plutôt comme une caricature microcosmique de la société dans laquelle nous vivons, et le conflit Irakien n’en est qu’un lointain élément constitutif ; le simple fait que la vie du protagoniste tienne à un téléphone portable en atteste assez. L’essentiel des rebondissements téléphoniques du film est ainsi d’ordre socio-économique, que ce soit dans l’absurdité ubuesque des politiques corporate (la surréalisante conversation avec le représentant de la CRT, complètement disproportionnée vis-à-vis de ses enjeux) ou l’horreur ordinaire des musiques d’attente et des téléopérateurs (qu’on connait tous, quoiqu’à un degré d’urgence moindre). Le point de bascule (théoriquement, il est atteint avant même le générique de début, mais bon) du récit, où l’on commence à prendre Paul au sérieux mais qui lui attire le plus d’ennuis au sein de son petit enfer personnalisé, est le moment où une vidéo prise par lui avec le téléphone se retrouve diffusée sur Youtube, ce qui amène directement à la notion d’image et au vérisme du propos conditionné exclusivement par ce qui en est visible. C’est l’image de soi (projetée, perçue) qui permet littéralement d’exister, bien plus que le discours lui-même : Toutes les preuves réclamées le sont via des images (l’exécution de Pamela à laquelle on croit d’emblée uniquement parce qu’elle est filmée, alors que rien ne permet d’infirmer qu’elle soit mise en scène – et encore la vidéo du doigt, ou celle du testament), alors qu’aucun salut ne vient de la discussion en temps réel. L’enregistrement comme unique espoir de subsister, fut-ce à l’état de mémoire externe: voir le licenciement enregistré en audio dans un soucis kafkaïen de couverture légale. Une séquence horrifiante, parce que crédible dans le contexte d’un occident où le procédurier joue le rôle de bouche-trou d’une crise profonde des représentations politiques et culturelles, faisant de la victime la figure tutélaire indiscutable du panthéon moderne. Le récit joue intelligemment de cet état de fait, puisque pour emporter l’adhésion du spectateur il présente Paul presque exclusivement comme une victime innocente, et pousse le même spectateur à relativiser les agissements de ses ravisseurs (tout de même des gens qui abattent de sang froid son amie sous ses yeux et l’ont enterré vivant dans un but crapuleux) en faisant se présenter le mystérieux interlocuteur téléphonique comme une victime économique de l’état de son pays… Ne reste plus pour étancher sa vindicte (on doit bien se trouver un antagoniste pour le confort de l’âme !) que le visage orwellien, protéiforme, d’une autorité domestique d’autant moins sympathique qu’elle est mal définie en termes d’identification. Pour preuve, Paul lui-même se voit obligé de prendre des notes pour s’y retrouver parmi  ses divers interlocuteurs.

Néanmoins ce pitch alléchant avait besoin d’une mise en scène au cordeau, et ingénieuse encore, pour ne pas être un simple exercice d’écriture chiant à regarder, si brillant et bourré de coups de théâtre qu’il fût. Et comme on le disait plus haut avant de se perdre entre trois virgules sournoises, c’est là que Cortès sait exactement ce qu’il fait et comment l’obtenir. L’idée selon laquelle le manque de moyens rend créatif, seulement partiellement vraie (essayez de bosser avec des alternos tiens), se vérifie cependant dans le domaine des contraintes créatives, menant soit à une épure (Maléfique d’Eric Valette) soit obligeant à une invention constante. On peut dire qu’en termes de contraintes à contourner, le découpage de Buried se posait là. Sans jamais sortir de la boîte (en dépit d’une fausse alerte), avec des panneaux de bois aveugles comme seul horizon, Buried parvient à continûment innover dans ses angles de vue, se permettant même des travelings et autres « regards de dieu » tout en gardant le sentiment claustro de la situation, et le tout sans faux raccord. A cela est adjointe la seule entorse vraiment notable à la vraisemblance du récit, celle qui consiste à avoir laissé une assez large variété d’objets (flasque d’eau, couteau), et notamment des sources d’éclairage pléthoriques à Paul dans son cercueil : briquet, cyalume, lampe de poche dotée d’un filtre rouge amovible, et bien entendu le téléphone. La trouvaille, c’est de les utiliser pour rythmer le montage séquentiel, en créant des actes clairement définis par une teinte dominante, bleu, rouge, blanc, vert (et bien entendu noir) et en jouant sur les attentes immédiates (encore une fois) conditionnées par la seule colorimétrie…

Dernier point qui fait qu’on se fait trimballer comme des gosses de 4 ans devant un spectacle de Guignol, et franchement celui sur lequel on misait pas notre chemise (c’est le moins qu’on puisse dire), Ryan Reynolds, contre toute attente, joue la comédie. Souvenez-vous de Blade Trinity, de Wolverine (ces hommes méritent de brûler en place publique pour ce qu’ils ont fait à Deadpool), d’American Party ou de the Proposal (non mais non quoi)… Souvenez-vous maintenant de l’épilogue de Smokin’ Aces, et vous approcherez un tout petit peu, mais alors un tout petit peu, de la performance que le type arrive à livrer tout seul dans Buried avec trois fois rien. Emouvant, juste, sympathique, on serait presque curieux de le voir dans Green Lantern. Bon presque; c’est quand même Green Lantern.

Bref. Buried c’est l’une des très grosses tueries de l’année, a voir impérativement en salle pour quiconque n’ayant de home cinema dans un caisson à oxygène à domicile, sous peine de perdre une part de ce qui fait de ce film une expérience physique quasi-complète. Putain ça fait du bien de se faire rappeler pourquoi on kiffe nos 24 images/seconde.

-2010

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