On nous annonçait un blockbuster incarné, concret, resserré sur les enjeux humains d’un personnage dégraissé de ses scories cinématographiques, en misant en façade sur la personnalité de son réalisateur. Las, The Wolverine manque de peu son but et s’avère, in fine, presque aussi anecdotique que son prédécesseur pour une qualité intrinsèque pourtant bien supérieure.
Brisé par une trop longue vie et la perte de Jean Grey dont il ne parvient pas à se remettre, Logan vit en ermite dans une forêt américaine et y cultive son rejet de la société des hommes. C’est là que vient le solliciter M. Harada, dont il a sauvé la vie à Nagasaki : arguant vouloir l’aider, par reconnaissance, à surmonter sa virtuelle immortalité, il va l’entrainer dans des luttes de pouvoir où se croisent ninjas, mutants, grandes familles et accointances économiques. Logan, rendu à cette occasion physiquement vulnérable, affrontera ses démons autant que ses adversaires, et pourra éprouver son rapport à sa condition.
C’est en tant que comic book movie que The Wolverine pose problème, précisément là où son projet prétend redorer un blason terni par Brett Ratner et Gavin Hood (et Avi Arad, hein). Adapté (très) librement d’un des story archs les plus populaires des aventures du Wolverine, le film de Mangold semble n’avoir fait que la moitié du chemin pointé par son alléchante note d’intention. Principal élément en cause, les impératifs contradictoires de la politique cinématographique de Marvel, dont on a vu précédemment les effets sur les divers avatars des Avengers. Mangold veut rendre hommage aux 7 Samouraïs et au western classique ? On lui accorde une structure qui y empruntera avec de gros éléments de serial, mais en lui interdisant en contrepartie les meurtres hors légitime défense immédiate (voir ce politicien jeté d’un gratte-ciel, geste promptement lénifié par une coupe le montrant tombé dans une piscine, judicieusement placée en contrebas!). De même, ok pour infliger la perte du facteur de régénération de Logan, mais seulement partiellement et sans le mettre réellement en danger dans ce laps de temps, au point que par exemple ses acrobaties sur le Shinkansen, alors pourtant qu’il est diminué, pourraient avoir lieu au pic de ses capacités sans qu’on voie bien la différence… Et ainsi de suite. Cet état de fait semble de plus être au cœur du script, dans la mesure où le facteur auto-régénérant de Logan, au centre de son voyage au Japon et de ses démêlées avec les autochtones, ne fait l’objet d’aucun suspense réel : plutôt que de créer une attente quant à la perte de ce dernier, le récit ne la révèle qu’une fois avérée, joue avec pendant une bobine (Logan a une ou deux gueules de bois après des grosses bagarres et se coupe en se rasant… Quelle aventure!) puis enterre tranquillement l’incident…
On touche mine de rien au problème fondamental que rencontre le personnage au cinéma : s’il est toujours très bien servi par l’interprétation charismatique de Hugh Jackman (qui est fait pour le rôle), il est systématiquement montré au tiers des capacités de son équivalent papier, en état de faiblesse physique ou psychologique, en aporie constante et surtout sans la sécheresse qui en a fait l’icône qu’il est au sein des X Men. Le Wolverine des comic books est un animal sec et abrupt qui crache des one liners derrière un cigare constamment planté dans sa bouche, et défouraille généralement avant de poser des questions. Pas là pour faire dans le convivial, quoi. Le Logan de pellicule, lui, est parfois pas bien cool parce qu’il a eu des malheurs, le pauvre (et hop, cauchemars et sourcils en accent circonflexe), et une parole gentille ou l’effleurement d’une peau féminine sur sa main le rend invariablement plein de bénignité et de douceur pour les créatures vivantes (sauf les hommes de main, il aime pas trop les hommes de main, qui sont malpolis), qu’il protègera avant de regarder au loin plus ou moins tristement, parce que rappelons-le il a eu des malheurs. Bref, une assistante sociale avec des prothèses en adamantium, ponctuant parfois d’un rare trait d’ironie ses pérégrinations. Ce Logan-ci, disons-le, manque d’animalité, d’agression, de férocité. S’il est bien entendu nettement plus concluant d’un point de vue mythologique qu’Origins, ce Wolverine souffre du même manque d’incarnation et de physicalité que le reste des apparitions du héros. Le choix de Mangold, peut-être plus à l’aise dans une vision plus théorique et fonctionnelle de ses personnages (voir le très beau final pirandellien de Identity), semble confirmer une tendance à ne pas se confronter aux mutants en tant que tels, pour les plier à des schémas – narratifs, mythiques, fonctionnels – qui n’ont finalement que peu de dimension superhéroïque. Si l’impulsion de base de Bryan Singer a permis de faire admettre durablement l’adaptation de comic book comme un genre capable d’aborder des thématiques adultes, ce mouvement est souvent contrebalancé par une négation de l’épisme propre au médium, la notion de splash page se perdant dans les considérations « de proximité » (voir les déconfitures de trois Iron Man).
Ici, ce manque de physicalité donne un déficit d’incarnation assez dérangeant, l’ensemble des notions de caractérisation et de thématiques passant encore une fois (Marvel nous y a habitué) par des dialogues, certains d’ailleurs très bien écrits, comme la définition de Viper par elle-même. Au point qu’on resonge même parfois, avec une pointe d’envie coupable, au charisme animal époustouflant de Liev Schreiber dans l’opus précédent… Pourtant, le film prend toute sa valeur quand il cesse d’avoir le cul entre deux chaises et s’adonne à une chose à la fois : si l’on oublie que tout ceci prend place dans une mythologie X Men, certaines séquences dramatiques, notamment entre Logan et Mariko, donnent lieu à de beaux moments comme sait les faire Mangold. De même, une fois mise de côté la mise en danger presque inexistante du personnage (dont une auto-chirurgie cardiaque à main nue qui ferait passer la scène du medipod de Prometheus pour un documentaire), les scènes d’action à proprement parler font preuve d’une hargne assez bienvenue dont on aimerait voir ce qu’aurait fait un réalisateur non bridé par le classement PG-13 du projet. Certaines coupes abruptes laissent penser qu’un montage unrated se ballade sans doute quelque part… Le bât blesse bien entendu sur le processus qui amène ces scènes, et parmi les influences revendiquées de Mangold pour la caractérisation de son rôle-titre, on se demande souvent s’il n’y a pas le Snake Plisken d’Escape From New York. Comme l’illustre borgne, il est présenté comme un marginal, que l’on envoie sur une île où littéralement il va être un aimant à violences et à coups durs, quitte à n’avoir qu’à se poser pour attendre la prochaine salve lorsqu’il n’a plus d’idée. Cet accolement des statuts de lonesome cowboy et de punching ball humain, n’ayant besoin que d’être dans la pièce pour être pris à partie, à l’avantage d’alimenter un récit (ici ce sont Viper, Harada et le Silver Samouraï qui sont sur le pont, tous sacrifiés dans un dernier acte d’un vain, d’un arbitraire et d’un expéditif délirants) mais a surtout tendance à trivialiser la férocité du Wolverine de la façon exposée plus haut – comment être agressif et sec quand d’autres vous grillent systématiquement la politesse, ne vous laissant le loisir que de vous défendre ?
Du point de vue mythologique donc, ce Wolverine est au mieux anecdotique : on jurerait qu’il n’existe, du point de vue de Marvel, que pour le fameux post-générique avec sa énième promesse de nous donner enfin les Sentinelles (c’est jamais que la quatrième fois qu’on les annonce depuis le Singer), dans un dispositif qui promet un bien bel imbroglio dans la timeline d’ailleurs. Cinématographiquement, on aurait tort de s’arrêter là car Mangold nous offre un bel imagier, émaillé de visions parfois magnifiques (l’immobilisation par les ninjas qui rend enfin son caractère plus grand que nature au récit et au personnage) et qui se permet de développer des idées qu’on n’aurait pas imaginé passer le premier jet de l’adaptation (l’ours, le seppuku). Pour peu transcendant qu’il soit, The Wolverine ne doit pourtant pas payer pour un hiatus dont il n’est que l’héritier. Le film qui reste ménage suffisamment de beau moments pour faire oublier certains rendez-vous manqués (on parle de toi World War Z). En espérant qu’un montage plus radical redresse un peu le nez de l’appareil en vidéo.
-2013
- D'autres textes
- NICE FICTIONS 2017 : Causerie sur Lovecraft avec des lettrés
- Snake Plisken, John Nada, Napoleon Wilson : de l’anarchisme chez John Carpenter ?
- HOLLYWOOD MONSTERS
- Le locataire – R. Polanski – 1976
- Ghostland – Pascal Laugier
- Le Serpent aux Mille Coupures – E. Valette
- Split – M Night Shyamalan
- Star Wars – The Force Awakens -JJ Abrams
- NEUCHÂTEL FANTASTIC FILM FESTIVAL 2015 – Bilan
- MAD MAX FURY ROAD – G. Miller
- The Hobbit – Battle of the 5 Armies
- Interstellar – C. Nolan
- Dawn of the Planet of the Apes
- The Raid 2 – Berandal
- X Men Days of Future Past – B. Singer
- 300 Rise of an Empire
- PARIS FANTASTIC FILM FESTIVAL 2013 – BILAN
- Las brujas de Zugarramurdi – A. de la Iglesia
- The Hobbit – the Desolation of Smaug
- Gravity – A. Cuaron
- The Wolverine
- Star trek into darkness – JJ Abrams
- Oz the Great and Powerful – Sam Raimi
- MANIAC (2013)
- Videogame wasteland ?
- The Hobbit
- LOOPER – R. Johnson
- TOTAL RECALL (2012)
- The Dark Knight Rises – C. Nolan
- PROMETHEUS – R. Scott
- COSMOPOLIS – D. Cronenberg
- Wrath of the Titans
- Carpenter et Lovecraft – la Trilogie de l’Apocalypse
- Sherlock Holmes – Jeux d’Ombres
- RARE EXPORTS
- DRIVE / REAL STEEL
- The Thing (2011)
- Cowboys and Aliens – J. Favreau
- X Men First Class – M. Vaughn
- Balada Triste de Trompeta – A. de la Iglesia
- Thor – K. Brannagh
- SCREAM 4
- Sucker Punch
- LE RITE
- PAUL
- Black Swan
- Law Abiding Citizen, Harry Brown
- Un monde de machines et Astroboy à Roboland
- Starship Troopers – P. Verhoeven
- Scott Pilgrim VS the world – E. Wright
- MONSTERS – G. Edwards
- Buried
- Captifs -Y Gozlan
- Natural Born Killers – Oliver Stone – 1994
- Piranha 3d – A Aja / F Levasseur
- Chatroom – Hideo Nakata
- Predators – N. Antal
- Splice , ou Vincenzo Natali vu sous l’angle du pamphlet
- Last Exorcism – Daniel Stamm
- Moon – Duncan Jones
- Lovely Bones – Peter Jackson
- Shutter Island – M. Scorsese
- Vynian – F. du Welz
- Midnight Meat Train – Ryuhei Kitamura
- Le vilain – Albert Dupontel
- Heathers – M. Lehmann – 1989
- LA HORDE – Y. Dahan / B. Rocher
- Nightmare on Elm Street – Freddy les griffes de la nuit – Samuel Bayer
- Getting Any ? Beat Takeshi
- Watchmen – Zack Snyder
- Chemical wedding – Le diable dans le sang – Julian Doyle
- L’Autre – Bernard/Trividic
- [REC] de Jaume Balaguero et Paco Plaza
- A HISTORY OF VIOLENCE
- RECIT LOVECRAFTIEN ET CINEMA (mémoire)
- Sabir cyber
- Making of et captations