La mode du reboot accouche périodiquement de films qui justifient l’exercice. Suite d’un de ces rares représentants de bonne soupe faite dans un vieux pot, le film de Matt Reeves est une belle réussite qui quoique sur un mode plus calme, creuse intelligemment le même sillon que son modèle.
Dix ans après l’épidémie qui a décimé la quasi-totalité de la population humaine sur la planète, Caesar et sa tribu de singes génétiquement modifiés ont constitué une société primitive florissante dans la forêt aux alentours de San Francisco. Les dernières poches d’humains survivent quant à elles dans une organisation précaire, dans les vestiges des villes. A la recherche d’énergie, ces derniers tentent de réactiver un barrage hydraulique en amont de la rivière, sur le territoire des singes dont ils ne soupçonnent pas le degré d’évolution…
Le reboot de Planet of the Apes était une bonne surprise, précisément parce qu’il ne prenait pas l’exercice comme une facilité apte à engranger les pépettes de la nostalgie. L’intelligence du projet, notamment le fait de ne pas tenter d’émuler le film à twist des origines (″You maniacs ! You blew it up ! Damn you all to hell !″) pour reprendre une structure chronologique, y était pour beaucoup. Son utilisation de la perf cap et des millions de polygones virtuoses de magiciens du numérique, aussi, était au service d’une caractérisation réelle de Caesar au lieu de ne servir que de prétexte technique d’attraction de foire, comme trop souvent. Caesar traité comme le protagoniste du récit, sans jamais que la trajectoire dévie de ce programme au demeurant assez casse-gueule. On se trouvait de fait devant un film au parti-pris anti-spéciste fort, qui utilisait son pathos au profit d’un discours d’une radicalité rare pour un produit de studio.
Ce qu’en fait Matt Reeves est d’autant plus intéressant. Sa propension à traiter avec sensibilité et surtout distance ses sujets avait déjà fait ses preuves sur Let Me In, remake de Morse qu’on est en droit de trouver largement supérieur à son modèle poseur. Il applique, avec ses scénaristes dont deux sont à l’origine du sympathique The Relic, cette vision volontairement anti-climatique des choses. Alors que le premier film faisait monter sa sauce presque avec véhémence jusqu’à la première vocalisation de Caesar, pour montrer la révolte manichéenne sous un jour purement cathartique, celui-ci n’appuie aucun de ses effets. En fait, le traitement des deux groupes de protagonistes ne s’encombre pas de différencier ceux-ci sur la base de l’espèce : on se trouve simplement témoins de la lutte entre deux groupes sociaux, assez semblables dans leurs préoccupations, assujettis à la même pyramide de Maslow. Le besoin de territoire, de ressources, de sécurité, et de stabilité politique, est présenté comme universel et non subordonné à l’espèce. Partant de là, le concept même d’humanité s’épanouit au-delà de la seule génétique.
Le parti-pris est très fort précisément dans le fait que les artisans du récit nous le présentent comme parfaitement naturel. Le changement de paradigme qui se dessine (la fin de l’humanité comme espèce dominante) n’est finalement ici qu’un changement d’ordre géopolitique et ethnique. Cela passe par un principe à la simplicité biblique : mettre systématiquement en parallèle les jeux de pouvoirs, prises de positions idéologiques, spéculations et plans de part et d’autre. Les intrigues sont placées ainsi sur le même plan d’importance dans la mesure où le discours ne penche pas en faveur de l’une ou l’autre faction, mais condamne ou glorifie des catégories de personnes et de comportements individuels : typiquement, ceux qui prônent le repli et le rejet de façon inconditionnelle sur des bases spécistes. Pour reprendre le mot de Doug Stanhope, ″on ne déteste pas une équipe, on déteste les supporters arrogants qui l’encouragent jusqu’à la connarderie″, qu’il s’agisse dans ce cas d’un chimpanzé qui veut instaurer une dictature à des fins de vengeance personnelle contre toute la race des hommes, ou de messieurs à la gâchette beaucoup trop facile. Si les besoins sont universels, les motivations plus ou moins crapuleuses ne sont l’apanage ni d’une espèce ni de l’autre, les premières esquisses d’asservissement des humains se faisant par pure idéologie raciste. De même, les hommes de bien ne se reconnaissent pas à la quantité de pelage qui les couvre, mais à leurs seules actions et velléités.
Les rapports entre les personnages sont d’ailleurs suffisamment complexes pour être salués, dans la mesure où ils suivent cette trame complexe et politique, tout en personnalisant bien entendu les enjeux pour l’économie du récit. Après des années de World War Z divers, où les motivations du protagoniste sont généralement à la fois foncièrement égoïstes et minces comme un argument d’Anna Gavalda, pouvoir contempler des altruismes sincères et des interactions multipolaires riches dans un blockbuster est une bouffée d’air frais. La mise en scène relaie malignement ces enjeux interpersonnels Koba/Caesar/Blue Eyes et Dreyfus/Malcolm/Alexander en ménageant deux climax pour le coup très impressionnants dans leur mise en avant d’une inéluctabilité, lors de l’attaque de la colonie et de l’affrontement en fin de troisième acte, où le leader de fait de chaque faction prend enfin toute sa place (bigre, ce ″You no ape″ !). L’interprétation, à la fois habitée et transparente, sert évidemment ce propos, même si la concentration de l’essentiel du buzz autour du film s’est faite sur Andy Serkis, ce qui n’est pas très juste pour les animateurs de Weta qui sont pour autant dans le succès de Caesar que l’acteur. L’ensemble de ce qui concerne les singes est absolument incroyable de vérisme, et à cette manière calme et discrète que prend l’ensemble du projet, les effets entérinent un pas en avant en termes de rendus (pluie, vent, poussière, fourrures… Attendez juste de voir l’orang-outan Maurice) que peu verront précisément parce qu’il semble naturel. Ceci dit, Andy Serkis confirme définitivement son statut de Lon Chaney de l’ère numérique, et Caesar dans sa dimension de vieux lion de la révolution qui fait face aux ambitions de ses anciens lieutenants est peut- l’un des personnages les plus passionnants qu’on a vus depuis longtemps dans une fresque de cette envergure. En tous cas, le spectacle, avec son dosage bien pensé, sa sincérité et son projet thématique atypique, laisse augurer du meilleur pour l’atterrissage des astronautes égarés, en 2016…
-2014
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