Wes Craven et Kevin Williamson se retrouvent pour faire leurs smart-asses aux dépends d’une bande d’acteurs télé, et du spectateur qui se sera (à nouveau) laissé abuser par la clinquance de leurs sophismes. Le cynisme se porte beau.

Dix ans après les évènements de Scream, Sidney revient à Woodsboro faire la promo d’un bouquin où elle glorifie son statut de « survivante » (c’est-à-dire de victime triomphale dans la plus pure tradition du pays d’Oprah). A cette occasion elle retrouve une petite cousine qui la loge, ses anciens compagnons de survie (ceux qui restent), et bien entendu de nouveaux meurtres autour d’elle (sa famille, les amis de sa cousine), perpétrés par un nouvel avatar de Ghostface. Kikitu, kikivamourir? Oulalasuspense!

Évacuons tout de suite cette Valda encombrante : Scream 4 est une insulte, une purge bien pire que ses prédécesseurs (même le 3!) et cet échec est dû en premier lieu à la personnalité de ses instigateurs, Wes Craven et Kevin Williamson, avec l’assentiment enthousiaste de ses producteurs, les éternels frères Weinstein (ah tiens et Craven aussi. Tiens.). Un peu de contexte : Wes Craven est, à vrai dire, un cinéaste relativement surévalué en termes de propos, et dont l’ensemble de la carrière aura consisté, plus ou moins selon les occurrences, à prendre la posture du type qui se met à l’écart de la mêlée et toise ses petits camarades qui n’ont pas compris le monde aussi bien que lui. En somme un gros malin. Quelques très bonnes intuitions (Shocker, le premier Freddy, Last House on the Left et The Hills Have Eyes, mais aussi avoir autorisé à Aja et Levasseur à en faire un remake supérieur – moyennant l’absence de Michael Berryman), une fantastique habileté à se vendre et des qualités de conteur indéniables ont conféré à Craven l’aura qu’il a encore. Le soutien, pendant le quart de sa carrière, de Sean Cunningham, son vieil ami de l’époque où ils tournaient vaguement des boulards, n’y est pas non plus étranger. Pourtant, la filmo du bougre montre assez la posture de réflexivité ostentatoire qu’il tient – de la mise en abyme en veux-tu-en-voilà et à toutes les sauces, selon une formule déjà dosée par Tarantino pour ramasser les bénéfices avec le moins d’effort possible, comme ces sandwiches élaborés au gramme près dans les snacks franchisés : 60% de discours et références accessibles pour créer l’empathie avec les spectateurs, même les plus béotiens (« je me mets à ton niveau, tu as l’impression d’être intelligent et cultivé, tu es heureux »), 20% de références très obscures pour marquer sa supériorité intellectuelle (« oui mais bon, je suis quand même pas de la piétaille, tu peux m’admirer ») et 20% de bas morceaux dévolus à l’histoire, sinon ce serait trop flagrant. phénomène flagrant depuis New Nightmare mais déjà visible auparavant (le flashback du clébard dans Hills Have Eyes 2!). Logique qu’il se soit trouvé comme larron en foire avec Williamson, petit gars astucieux (ce n’est pas un compliment) qui vend depuis 15 ans des scénarii-coquilles remplis de citations plus ou moins pataudes, qui cachent mal la puérilité de ses préoccupations (toutes ses histoires sont peu ou prou des histoires d’adolescents capricieux – y compris lorsque ceux-ci sont adultes sur le papier), lui ouvrant après le coup d’éclat Scream les portes de la teenage angst tv show où il s’est épanoui plus sûrement qu’au cinéma. Le personnage ressemble à notre inénarrable François Bégaudeau à nous : seulement occupé de se montrer comme intelligent depuis les nineties (mais on ne l’aura remarqué que plus tard, car à l’époque le contenant paraissait frais), échouant de ce fait dans les arts nobles où il s’était rêvé nouveau génie, et s’achetant finalement un peu de gloriole dans un milieu qui feint de ne pas remarquer sa cuistrerie : la télévision.

Et des dégâts, Williamson et Craven en ont fait, avec Scream premier du nom qui presque à lui tout seul plongea le cinéma de genre américain dans un âge des ténèbres qui dura un à deux lustres, et où plus rien, imagerie narration ou mythologies, n’avait droit de cité si on ne les foulait pas au pied par la parodie systématique. Le pastiche annulait le récit, vu alors comme un artefact obsolète dans une mer de coups de coude complices. Puis vint la surenchère de cette tendance (les Scream suivants, les films des Wayans, Cursed, les Bee Movies de Canal+, Cursed, Halloween Resurection…), et enfin l’enterrement de ce règne du ricanement par une vague en réaction très sérieuse, trop même dans la mesure où on peut voir le torture porn comme une conséquence directe, un ras-le-bol de cet irrespect généralisé.

Et quinze ans après? Les Weinstein (via le système Dimension et son illustre ambassadeur Quentin T.), mais aussi et surtout Craven et Williamson, sont restés bien au chaud dans leurs années 90. Au point de tourner en rond et de faire dégénérer leur recette, qui est devenue rustique puis grossière, ne donne même plus le change, ne fait plus que s’auto-congratuler sans même faire l’effort de proposer de vrais récits ou même des jeux de références exactes (pourtant le fond de commerce du sous-genre post-post-moderne et de la franchise Scream), à l’image d’un Inglorious Basterds et de ses balourdes incohérences historiques (la carte de la Zone Libre, certaines affiches de films, etc.). Le travail sur la référence de Scream 4 est carrément grotesque. Le film dans le film dans le film du début (où le caméo d’Anna Paquin, ici ravalée à son statut d’actrice de série – elle affiche le look de son perso de True Blood -, parodie jusqu’à l’annulation celui de Drew Barrymore dans le n°1) annonce clairement la couleur : rien n’a de valeur en soi, tout est le faire-valoir d’un immanent métadiscours si brillant qu’il chapeaute toute réflexion antérieure ou ultérieure. Au passage, on tacle la série des Saw, dont l’excellent premier opus fut l’un des renverseurs du trône de la Wiliamson Connection en 2004. L’érudition ne sert d’ailleurs plus à rien pour Scream 4, il suffit d’affecter d’avoir de l’érudition et le tour est joué : une victime putative répond à un quizz surprise du tueur en annonant sans réfléchir des titres de films; la culture, c’est juste une liste de noms, c’est bien connu. A ce titre, LA bonne idée de la tétralogie, la série de slashers fictifs Stab, subit le même traitement et dédouane elle aussi les auteurs – plus besoin de références solides, on va faire référence à notre propre référence, trop comment on est trop intelligents on se kiffe trop. Ainsi l’un des tueurs (le très convenu twist de troisième acte, qui ne surprendra que ceux qui se seront endormis en seconde bobine – ou n’ont pas vu All the Boys Love Mandy Lane) est un fan de Stab qui organise des Stab-athon pompés sur le concert de l’ Halloween 2 de Rob Zombie… Les clichés ne sont ainsi plus des sujets de jeu, mais un idéal en soi qu’il convient d’embrasser pleinement (voir ce plan d’écrivain qui sèche devant un traitement de texte arborant un gros « Chapter One »…). Quant à l’histoire et le whodunit, ben on s’en fout au point de caler des fausses pistes sans même les exploiter, pour remplir semble-t-il (la sheriff adjointe, qui a manifestement joué dans le premier Stab, et dont on ne fait strictement rien), et de créer des personnages unidimensionnels joué par des tanches issues de vacantes séries à jeunes (même si Emma Roberts s’en sort un peu mieux), dans un univers si faux et carton-pâte que toute cette vacuité fait couleur locale. Le tout est si prévisible que le film ressemble à son propre remake.

Là-dedans surnage une thématique intéressante, celle de la motivation du cerveau de ces nouvelles tueries: totalement absorbé par soi, vivant un imaginaire de hype Internet, de télé-réalité et de notoriété factice, le but de l’entreprise est uniquement de devenir connu, en arborant le statut de victime absolue pour recueillir les suffrages sans plus d’effort (« Voyez mes blessures! Elles me rendent inattaquable, sympathique et indiscutable! »), dans une vie totalement déréalisée oû meurtre et automutilation sont quantité négligeable face au nombre de clics/jour. Les personnages d’ados, tous insupportables et vissés à leurs smartphones (beaucoup de péripéties tournent autour d’appareils de communication), volent ainsi la vedette aux briscards (Campbell-Cox-Arquette, tous affreusement tapés), cadavres de vieillards qui traversent le film comme des zombies. Seulement, offrir avec tant de dirigisme (TOUT passe par les dialogues) l’image d’un cynisme qu’ils prétendent fustiger, ne suffit pas à cacher chez les auteurs leur propre cynisme qui consiste à se faire mousser en disant tout haut qu’ils sont intelligents. Au passage, pour camoufler cette froideur effrayante, en se réclamant de Shaun of the Dead, projet complètement opposé à celui-ci de par son honnêteté et son respect des sujets et contextes qu’il traite. Scream 4, lui, est une insulte à l’intelligence et au sens critique du spectateur pris pour un sectateur du génie de Craven/Wiliamson, qui plus est affublé d’un QI de 80. C’est aussi un crachat au visage du genre qu’il prétend promouvoir avec brio, et une vraie brimade à l’égard du cinéma lui-même, ici simple écuyer pour des chevaliers intéressés seulement d’eux-mêmes, et qui confondent mépris affiché et hauteur d’esprit. Ils n’essaient même plus.

-2011

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