Dire qu’on avait appris à se méfier des bêtes à festoches du fantastique scandinave est sans doute un bien grand mot, mais disons qu’on avait appris à ne pas trop s’enthousiasmer d’emblée. Une fois l’exotisme retombé, le schéma était souvent le même : concepts initiaux de ouf, belle facture, de bien jolies qualités qui s’essoufflaient irrémissiblement au bout d’une heure de métrage, lorsque les scripts perdaient leur inertie initiale. Et le spectateur de rester sur la touche en compagnie de personnages à l’abandon (voir Morse ou Dead Snow, ou mieux encore Troll Hunter). Voilà enfin un film qui prouve que l’alchimie amour du genre traité/iconoclasme/écriture rigoureuse peut prendre en ces terres enneigées (Cold Prey l’avait déjà démontré, mais sur un autre mode) et remporter l’adhésion complète, de celle qu’on n’achète pas par des coups de coude référentiels à un public de connoisseurs branchés, mais qui vient du cœur d’un récit et des personnages qui y évoluent.
Et c’est bien, avant tout, de cœur qu’il est question dans Rare Exports. Peut-être parce que ses auteurs se sont débarrassés, dans les deux courts métrages préparatoires à ce long, de l’aspect « petit malin » d’un préalable convenu (le concept de « méchant Père Noël » qui fait toujours ricaner les post-ados de tous âges), d’ailleurs développé à la base sur un mode publicitaire dans le cas qui nous occupe. De l’ironie et de l’iconoclasme, Rare Exports en regorge pourtant, notamment dans ses divers climax pas piqués des vers, d’un escadron de vieux messieurs qui courent à poil dans la neige à la poursuite d’un hélico, au vol des radiateurs et séchoirs à cheveux de tout un village pour décongeler le Krampus, en passant par la gestion de la situation avec les moyens du bord ou les consignes de sécurité surréalisantes de l’entreprise minière. De telles idées, très bien distillées tout au long du métrage, ont le mérite de pousser le concept au bout de sa logique de récit astucieux, et le film est réellement amusant dans son inversion d’imagerie, parce qu’il ne s’en contente pas. On sent beaucoup plus un travail sur la mythologie, au sens plein du terme, comme celui qu’on a pu trouver chez Del Toro dans Hellboy et sa suite, dans la mesure où le traitement caustique d’un mythe dont la vision moderne est abâtardie n’a pas besoin de tourner à la parodie pour garder son sel (ici le Père Noël « Coca Cola », chez Del Toro les tooth fairies ou les trolls). Et le film est bourré jusqu’à la gueule d’idées excellentes, toutes poussées jusqu’au bout de leur potentiel iconique ou nawakesque. Mais la ressource principale de Rare Exports, qui permet de faire fonctionner l’ironie des situations, c’est la tendresse. Une tendresse bourrue, maladroite et virile entre les personnages du film (à part quelques figurations, le cast est intégralement masculin) et qui sous-tend l’ensemble de l’histoire racontée.
Le jeu des relations entre la poignée de gars qui vivent, coupés du reste du monde, de la chasse de rennes pour l’exportation, est LE liant du récit, là où beaucoup se concentreraient sur le concept (i.e. l’élément perturbateur) pour faire valoir une originalité plus immédiatement visible. Il est de fait logique (et heureux) que le ton du film abandonne le cynisme de façade à la mode, qui nous a pourri dans une certaine mesure les deux derniers lustres de cinématographie fantastique. En effet, le film est ouvertement solaire dans son traitement, jusque dans l’optimisme de son épilogue. La relation entre Pietari et son père, d’autant plus sincère qu’elle est traité subtilement, permet de servir non seulement de marqueur d’échelle pour le spectaculaire des évènements, mais surtout elle soutient la trajectoire du gosse dans sa croissance symbolique. D’abord mis à l’écart et surprotégé, traité sur un mode différent des « hommes », Pietari est un gamin lunaire, qu’on croit peu dégourdi, qui garde un doudou au bout d’une ficelle et à qui son père empêche de voir ses activités de boucherie pour lui éviter sans doute des cauchemars. Pourtant, bien entendu, c’est lui qui va progressivement prendre l’ascendant sur les autres adultes à mesure qu’il grandit symboliquement : la narration met en parallèle le calendrier de l’avent de Pietari et le déroulement des évènements, notamment en le montrant en agrafer dans un premier temps la porte centrale (parmi d’autres dispositifs amusants à base de pièges à ours dans la cheminée), puis en lui faisant ouvrir lui-même sa version réelle, celle du hangar où se cache le Krampus. A cette occasion il abandonne son doudou, qu’il trimbalait alors en même temps qu’un fusil plus grand que lui, pour définitivement prendre l’initiative. L’artifice narratif peut sembler grossier, il n’en est pas moins limpide.
La limpidité du récit (c’est très bien écrit), mais celle aussi des cadres et de la photo (ça a coûté deux millions, ça?), et la mise en avant de l’enfance, le tout dans un fantastique du conte et de l’émerveillement, sous la neige en plus, font bien entendu penser à Amblin Entertainment. A cet égard Rare Exports n’est pas le premier à sortir botté et casqué du crâne de Steven Spielberg cette année, mais c’est indéniablement celui qui le fait le mieux, sans doute parce qu’il lorgne plutôt du côté de ce que Joe Dante y faisait à l’époque en subvertissant un feel good movie de Capra sans en tordre l’essence (remember l’extrait de It’s a Wonderful Life dans Gremlins ?). Ainsi, exit les premiers chatouillis de muqueuses avec jeune fille de l’entourage, qui conditionnent dans les Spielberg des eighties le passage à l’âge d’homme ; le chemin de Pietari est personnel et se fait vis-à-vis de l’image que celui-ci veut renvoyer à son père. Contrairement aux autres films qui ont émulé récemment la Amblin Touch, le propos ici est moins d’exalter l’image de l’enfant en tant que prescripteur tout-puissant , détenteur en soi d’un absolu ou d’une vérité supérieurs à ceux des adultes (voir Real Steel). La valeur cardinale est ici la croissance (l’apprentissage, l’abandon du statu quo, la prise de risque, la saisie d’opportunités, l’assomption de soi), et mine de rien ça fait une grosse différence, puisque ce qui sous-tend un discours est plus intéressant que le discours lui-même. Autrement dit l’un détermine l’autre, et la noblesse du propos se retrouve dans la tendresse palpable du conteur pour ses personnages, et celle plus picaresque, entre les personnages eux-mêmes. La rudesse de l’univers (il fait froid, on est taiseux, on dépèce des bestiaux pour vivre, etc.) appelle cette tendresse tacite en contrepoint, certes, mais il y a un monde entre simplement sacrifier au motif, et gérer celui-ci comme le cœur même de l’histoire racontée. C’est toute la différence entre un essai filmé tendance CV de petit malin, et un film sincère, honnête et exigeant. Assurément issu de la seconde famille, Rare Exports est le meilleur divertissement de Noël depuis… Ben depuis Gremlins, tiens.
-2011
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