Susie Salmon est violée et tuée à 14 ans par un voisin car elle ne s’est pas assez méfiée de sa pédo-moustache pourtant proéminente. Du haut de l’entre-deux mondes fantasmatique de son après-vie, elle observe sa famille, ses amis, et son meurtrier, dans les mois de deuils qui suivent sa disparition.
Et pis, c’est tout. Oui, c’est maigre. Adapté d’un best seller tendance Ripolin-Marc Levy, Lovely Bones est le premier film vraiment fastidieux de Jackson. Fastidieux et même carrément rebutant d’affectation et de cucuterie. Le texte du quatrième de couv’ est intégralement un copier-coller de Marie-Claire, ce qui donne une idée du public-cible et de la teneur du propos qu’on entend nous asséner.
Retour proclamé au film sensible et « intimiste » (de l’intimiste avec un casting ostentatoire et une chiée de production value en veux-tu-en-voilà tout de même), Lovely Bones ressemble surtout à ce qu’il est dans une certaine mesure : un objet transitoire destiné à se refaire une virginité et faire oublier les soucis rencontrés sur Halo et la préproduction chaotique de Bilbo. Seulement voilà, une reconstitution d’époque, avec adolescence féminine, monde imaginaire et nature humaine sombre cachée sous le vernis de Suburbia, bah il l’avait déjà faite, le Peter, ça s’appelait Heavenly Creatures et c’était très bien. Que dire de cet auto-plagiat à part qu’il ne retrouve qu’à de trop rares occasions la grâce de ce premier effort? La réponse est dans la question. Car Walsh et Jackson nourrissaient une vraie passion pour leurs égéries meurtrières de l’époque et avaient porté leur projet à bouts de bras : la poésie du résultat n’était, elle, pas feinte et c’est pour ça que ça marchait.
Ici on a tout le contraire. En gros ça ressemble à un gros téléfilm Hallmark ponctué de vérités premières et touchy-feely à la « l’esprit de Noël c’est donner et aimer », tout en démarquant American Beauty (l’épilogue donne envie de filer des coups de latte à un chien) et Virgin Suicides, avec de grosses louches de la calamiteuse adaptation de Matheson de 1998, What dreams may come, pour un au-delà d’une ringardise presque jamais démentie. C’est d’ailleurs ce qui énerve au plus haut point à la vision du film : l’outrance de la caricature pour un objet qui se proclame aérien et subtil, c’est-à-dire du fantastique à usage de celles qui n’aiment pas le fantastique. Entendons-nous, Jackson à toujours manié l’archétype et la caricature dans ses films, notamment dans la caractérisation de ses personnages, mais il l’avait fait, jusqu’à présent, avec la subtilité qui lui fait aujourd’hui défaut (voir Braindead). Alors qu’est-ce que ce sera ? Et bien, pêle-mêle, une reconstitution des seventies trop pimpante pour être totalement honnête, les deux tiers du cast au charisme sabré par la D.A. (on a rarement vu Rachel Weisz dégager aussi peu de présence, même dans Return of the mummy), des séquences tellement tayloristes du point de vue thématique qu’elles en deviennent individuellement putassières (la partie musicale autour de Susan Sarandon en mamie rigolote, abattez-moi, de grâce), le tout saupoudré d’une caractérisation à la Kolossale finesse.
Oh, une jeune medium un peu lunaire. Faisons-la brune avec une tête à s’être cogné un orteil dans un meuble. Un prétendant ? Un peu typé latin, mais pas trop, histoire que ce soit pas menaçant, et déclamant de la poésie passque c’est joli, ça va nous en lubrifier des boîtes à ouvrages dans les travées du cinoche. Et hop, une maman très digne avec des yeux tristes et un papa un peu juvénile mais à la virilité rassurante. Et bien entendu : comment reconnaître le méchant ? Les lunettes carrées, la station-wagon et la pédo-stache bien entendu ! En plus il fabrique des maisons de poupées l’enflure, c’est sûr qu’il est pas net. A ce train là, Fritzle aurait été arrêté 25 ans plus tôt les amis, hein.
Ce qui est bien pénible étant donné qu’il reste quand même un peu à bouffer, niveau mise en scène surtout (une ou deux options de montage séquentiel, bien qu’elles éludent le cœur du récit, c’est-à-dire le meurtre), et que les acteurs y croient visiblement à mort. En gros, ils jouent très bien des grosses quiches taillées à la serpette. La mention va bien entendu aux deux principaux protagonistes, Susie et son bourreau, qui lui se taille la part du lion des scènes où on rouvre un œil pour sortir de sa torpeur de haricot tiède. Dans la plupart des séquences qui le touchent (hu hu), on retrouve un Peter Jackson à la mise en scène plus outrée, plus « interne » et plus incarnée de ses débuts, à grand renforts de paluche sur des détails et de courtes focales lourdes de sens sur des objets a priori anodins ou le regard inquiétant de Stan Tucci. Dommage alors d’écrire aussi mal autour de lui ! D’un dernier acte qui tire à la ligne comme c’est plus permis (6 bonnes minutes de coffre qui roule) à une punition ultime à la fois très Deus ex Machina et peu satisfaisante (encore une fois, on sent bien que pour ne pas froisser la spectatrice de base il faut bien punir le méchant, même si c’est pas logique et que ça prend le film comme une envie de pisser), le syndrome « il en reste 4 tonnes, j’vous les mets quand même » de LOTR frappe à nouveau. Dommage aussi que l’écrasante majorité du temps, la réa se résume un peu à appuyer du plat de la main sur le bouton Weta Digital pour faire de la fantasmagorie parfois bien vue (les victimes précédentes, le phare), souvent piquante pour les yeux. Techniquement c’est irréprochable, mais ça ressemble au mieux à une longue pub pour écran plat, avec grosses CGI en mode HDR forcé et petit kiosque « lothlorien quality ». Et de finir sur un looooooong ralenti qui tire trop véhémentement sur la corde lacrymale avec la superbe Song to the Siren, fourrée ici à grands coups de boutoir, et qui aurait dû rester chez David Lynch et dans nos souvenirs émus (la scène d’amour dans le désert de Lost Highway, nda).
Bref, de l’image d’Epinal qui marche bien dans les passages cloutés de notre belle époque casual. Idéologiquement, on voit bien la manière dont tout ceci sert la soupe à la gonzesse de pays occidental aisé, en lui assurant sur un ton égal de berceuse qu’elle a bien raison de mener son existence déréalisée, dans le même imaginaire rose bonbon que ses coreligionnaires du grand rien qui fait de mal à personne. Pour faire bon poids, on aura soin d’agiter un croque-mitaine tellement caricatural qu’on se croirait revenu dans la Belgique post-Dutroux, celle des marches blanches et de la communion simplificatrice de sens : attention au vilain monsieur bizarre, brûlons-le d’emblée fut-ce en effigie pour nous rassurer à peu de frais, soyons totalement tournées vers la surprotection tous azimuts de nos gosses et dédouanons-nous des effets délétères de telles pratiques éducatives. Ne me sortez pas de mon néant confortable, je préfère vivre dans la terreur exagérée de me faire NatashaKampuscher par un inconnu, ça m’évite de regarder en face l’abjection inhérente à tout être humain. Ce filigrane vient certes surtout du bouquin de base, mais c’est rageant de voir le gars qui a fait King Kong s’abaisser à montrer une femme de tête, qui naguère lisait Camus, se ravaler joyeusement au rang de stricte pondeuse dès qu’elle a des mômes (un plan ou livres de cuisine et méthodes d’élevage de marmaille ont remplacé les auteurs à gros neurones).
Dernière chose, qui achève de rembrunir : dans cette optique d’être gentiment bercé par les bras oublieux de la société du lustprinzip, on accepte toutes sortes de pratiques de gredins, notamment, ici, commerciales. Ainsi, si le bluray est gargantuesque au niveau éditorial (avec des modules parfois carrément hypertrophiés en regard de leur objet), pour le DVD, nada, zobi, pas la queue d’un bonus. Z’avez qu’à être des bons citoyens et acheter des équipements HD. Sinon on envoie des pédophiles dans votre quartier. Bouh !
On passera miséricordieusement sur ce film très anodin, transitoire et prônant le renoncement mou. Une maigre poignée de bonnes idées et d’images sympathiques ne vaut pas la peine de risquer d’en vouloir à un cinéaste dont c’est le premier faux pas. Heavenly Creatures se trouve un peu partout à grave pas cher, je dis ça, je dis rien.
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