Alors bon, on ne va pas essayer de vous faire croire que Getting any ? est le chef-d’œuvre méconnu du japonais taciturne, à ranger d’emblée entre Hana-bi et Sonatine. Non, c’est un film de tâcheron qui ne cherche pas à contribuer à un quelconque grand-oeuvre, une grosse pochade seulement symptomatique de son époque, et qui permet de remettre un peu en perspective, par le petit bout de la lorgnette, certaines obsessions esthétiques que l’on retrouve dans ses autres films. C’est moche, c’est bête, c’est pas respectable pour deux sous, et c’est ça qu’est bien.
Asao veut baiser. Problème : Asao n’est pas très séduisant et surtout, Asao est un crétin. Pour arriver à ses fins, il imagine donc des stratagèmes : avoir une voiture, avoir de l’argent, être acteur, voyager en avion pour se taper une hôtesse, être un acteur riche dans un avion pour se taper une hôtesse, etc. Mais comme c’est un crétin, il va s’en prendre plein la poire et jouer de malchance sur le mode de la catastrophe exponentielle. Quel enchaînement d’événements le mènera donc à se faire écraser par une tapette géante sur un énorme tas de merde ? Suspense !
Il est amusant de jeter un œil aux résumés de Getting any ? qu’on trouve en France. Petite citation du quatrième de couverture du DVD, reproduit sur un site marchand : « Un jeune homme naïf et influençable, attirant les catastrophes, est prêt à tout pour arriver à ses fins : s’envoyer en l’air. Tout à tour loser, acteur, yakusa, il finit par être le sujet d’une expérience scientifique improbable (devenir invisible) mais se retrouvera transformé en homme-mouche… » Mes Dieux, que tout ceci est policé ! Sur des sites anglo-saxons, on trouve carrément des descriptions de la satire sociétale tétanisante que représenterait le film… Le statut d’auteur (mettez autant de majuscules que vous voudrez à auteur) de Kitano dans les pays occidentaux nous pousse trop souvent à oublier qu’avant les personnages dépressifs, l’accident de moto et les marionnettes automnales, Kitano était surtout Beat Takeshi, amuseur public télévisuel équivalant aux plus crétinoïdes de nos Lagaf’(1). Ce film violemment con émane, on l’aura compris, de la face Beat Takeshi du personnage.
Et ce n’est clairement pas du côté des têtes de pont de la Nouvelle Vague qu’il faudra aller lorgner pour trouver des références érudites et des figures tutélaires dont se réclamera, plus tard, le cinéaste. Le film le plus proche de celui de Kitano, en fait, semble être La cité de la peur de nos Nuls nationaux sorti peu ou prou à la même période. Ici, le comique est basé sur l’instant gag, le scatologique, le slapstick, la mise en œuvre de références de la culture pop, les situations improbables et la dégradation de personnages savamment caricaturaux. La structure en sketches successifs fait penser au Kentucky Fried movie de John Landis et des Z-A-Z (autre référence profonde de Chabat Farrugia et Mezerette à l’époque), et certains gags sont même interchangeables chez Kitano et les Nuls : à ce titre, le premier gag de Getting any ? (un type se trompe de banc-titre et se fait engueuler hors-champ) fait directement écho à la scène « bruitée à la bouche » de La cité de la peur, tandis que le final à base de Kaiju rappelle étrangement une fausse bande-annonce de l’époque Canal + à la gloire de T-Rexona !
Venu beaucoup plus de la télé que du cinéma, Getting any ? défie, dans une certaine mesure, l’analyse filmique. C’est une suite de saynètes parodiques, brocardant pour certaines les codes de genres ou sous-genres donnés, voire carrément de figures populaires : Asao réussit à devenir acteur et à jouer Zatoïchi, le Masseur Aveugle mythique du chambara qu’incarnera quelques années plus tard (et avec quelques accents comiques) le même Kitano. D’emblée, l’ensemble des gags tournera autour de la cécité, le sommet étant atteint avec le combat à coups de louche à purin qu’Asao aura méprise pour sa canne-katana. Plus tard, c’est encore le caca qui sauve le Japon dans un décalque de Rodan, et l’Asao-mouche expirera en lâchant, majestueux, le cri ancestral du crétin qu’il est : « Car sexu ! ». Mais que les hagiographes conventionnels se rassurent, la majeure partie des élans parodiques tient sur les films de yakuzas et l’on sera en terrain connu pour causer Kitano dans les cocktails : ainsi sont brocardés les poses interminables, codes d’honneur abscons, performances virtuoses des tueurs à gages (un simili-ronin capable de trancher un atome en deux !) et gerbes de sang subséquentes, ainsi que la déférence au chef, ici performer travesti à ses moments perdus. L’aspect furieux, méchant et ouvertement misanthrope (le héros vend sont grand-père en kit pour s’acheter un pussy-wagon quand même, chez un concessionnaire qui passe son temps à flanquer des tartes aux gamins), est cependant moins à mettre au compte d’un quelconque hommage à Tex Avery qu’à celui du désenchantement précoce de son auteur. Ici on se paie la tête des enfants, des otakus, des vieux, des travestis, des handicapés, des chefs d’entreprises en faillite (le show du pilote de Cessna, mambo, qui fait quand même très très mal à voir, mambo – vous comprendrez en le voyant. Mambo.), du porno, des femmes bien entendu, des hommes évidemment, des scientifiques (la coiffure de Kitano dans le rôle, enfin quoi), de la culture en général et du cinéma en particulier, de la police, des maffieux, du salary-man de base et des animaux. Ajoutons à cela un récit qui fait fi de toute vraisemblance (les personnages meurent plusieurs fois, y compris Asao) et un goût du lourd que ne dément jamais la moindre pointe de finesse, que ce soit dans un jeu outré ou des situations énormes, avec un sens de l’emphase tout japonais.
Dis comme ça, ça devrait être très drôle, on devrait risquer la rupture d’anévrisme à force de fous-rires. Mais voilà, le film est franchement sous-rythmé, ce qui constitue un handicap de taille, en particulier pour une comédie. On se laisse porter sans vrai déplaisir de séquence en séquence, riant franchement par moment, mais le plus souvent on s’ennuie un peu, car si certains gags fonctionnent sur la durée (mambo !), on passe souvent par des tunnels où il ne se passe strictement rien. De plus, pas mal de gags sont absolument éculés et du niveau de nos plus horribles gaudrioles Max Pecassiennes (toutes les péripéties automobiles par exemple). C’est un film plus que mineur, une curiosité dans la filmo de Kitano, peuplé de moments totalement extérieurs (MAMBO !) barbotant trop mollement dans une graisse qui fige doucement.
Cependant !
Le vrai plaisir que l’esthète y trouvera est plus périphérique, mais Ô combien jouissif : voir une figure telle que Takeshi Kitano, réduite un peu vite au seul statut d’Auteur Sacré du Cinématographe Intelligent, se rouler dans la fange avec jubilation, faire des gags que les Charlots auraient repoussé du pied avec mépris, ne rien respecter et se foutre de tout, surtout de la bienséance. Imaginez seulement un critique de (insérez ici le journal cryptique de votre choix), lors de sa première vision, tentant de se gratter la tête, le sourcil haussé, devant le spectacle de danseuses mi-nues attirant une mouche géante sur un tas de fumier dans un stade, le tournage d’un porno inter-espèces avec des bestiaux empaillés, ou une anesthésie au bouquin ennuyeux. Ça, ça fait plaisir. Vive la cinématographie pas propre. Mambo.
(1) C’est ce statut de star télé qu’exploite Kinji Fukasaku dans son adaptation de Battle Royale lorsqu’il emploie Kitano, beaucoup plus que sa notoriété critique en tant que cinéaste.
-2009
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