Bruce Dickinson mêle sorcellerie et hard science autour de l’occultiste Aleister Crowley, et se lance dans un récit manifestement trop gros pour lui. Emballé avec trop peu de rigueur et de dinguerie par Julian Doyle, et malgré quelques bonnes idées, le résultat est ringard comme du Iron Maiden… Et rigolo comme leurs pochettes de disques.
On a envie d’aimer son film, à Bruce. On entame en tous cas le visionnage avec un a priori positif, tant le musicien, mais aussi son Julian Doyle de réalisateur (monteur de Brazil tout de même) attirent la sympathie du fait de leurs statuts respectifs. Aleister Crowley, occultiste du vingtième siècle qui avait déchaîné les passions en son temps (« the wickedest man in Britain »), est une figure intrigante, suffisamment peu traitée par le passé (au cinéma en tous cas) pour provoquer au moins un levé de sourcil curieux et motiver toutes les extravagances narratives.
Mais voilà, l’extravagance, c’est précisément ce qui fait défaut à un film qui s’en réclame à cor et (surtout) à cris. Le script, confus sans être vraiment complexe, nous montre Crowley mourant dans les années 40 en maudissant deux étudiants qui se trouvaient là. De nos jours, à l’université de Cambridge, plusieurs notables adeptes de l’occultisme (dont nos étudiants depuis montés en graine) parviennent à ressusciter le sulfureux personnage par l’entremise d’une combinaison de réalité virtuelle qu’est venu tester son inventeur, le chercheur américain Mathers. Haddo, professeur timide et bègue, est après son passage dans la combinaison habité par l’esprit de Crowley, qui va chercher à compléter sa résurrection par un rite puissant, le mariage chimique : pour ce faire, il compte utiliser Lia, très jolie étudiante rousse, celle-là même que Mathers s’apprête à tutoyer pendant deux bons tiers du film. Ce faisant bien entendu, cadavres et attentats aux bonnes mœurs s’empilent, physique quantique et alchimie se rencontrent, les considérations scientifiques pleuvent, les chassés-croisés se multiplient, chacun poursuivant tous les autres. Y arrivera-t-il, y arrivera-t-il pas, sommes-nous dans un monde parallèle, la science et la magie sont-elles les deux faces de la même médaille, pourquoi Haddo s’est-il rasé la tête, et avait-il vraiment besoin de faire pipi sur ses étudiants (spoiler !) ?
On le voit, la trame en elle-même est ultra linéaire, ce qui ne l’empêche pas de se perdre dans les méandres de multiples péripéties au mieux esquissées (les mondes parallèles, l’agence d’escort girls, la relation entre celui qui sait et son camarade en fauteuil roulant), au pire inutiles (le sabbat en milieu de métrage) ou carrément grotesques (l’affrontement final du plus haut ridicule en CGI criantes d’amateurisme), mais des péripéties presque toujours inutiles au déroulement global de l’intrigue. On les jurerait d’ailleurs disséminées au hasard dans le déroulement du film, ce qui s’avère carrément contre-productif dans un récit qui entend développer un sens de l’urgence (le tout se déroule sur 4 jours) et du suspense (y arrivera-t-il, y arrivera-t-il pas, tout ça), et surtout qui touche à des concepts qui réclament une rigueur accrue dans le traitement, à savoir le paradoxe spatio-temporel. Aux deux tiers du film, on se contrefout déjà du sort de tous ces personnages : le main plot est en pilote automatique (bien entendu tout rentre dans l’ordre mais l’épilogue se remet in fine en question avec l’énigme qui fait peeeuuuur, bref tout ceci est routinier) ; restent des gesticulations multiples qui s’avèrent fatigantes dans leur démonstrativité.
Car l’autre problème, le principal peut-être, est bien cette démonstrativité qui se verrait bien en subversion, mais n’atteint guère que la bouffonnerie, au sens médiéval du terme : les coups d’éclat transgressifs de Haddo/Crowley, loin de susciter phobos et eleos, provoquent le plus souvent un amusement réel, mais somme toute plutôt bon enfant : Du cul frileux, des gros mots, un peu de méchanceté gratuite, des saillies scatologiques et une violence le plus souvent hors-champ. Doyle et Dickinson, eux, sont persuadés de bousculer des tabous et d’horrifier le chaland à la manière d’un Sade, d’un Rochester ou même pourquoi pas d’un Manson. Seulement, à part quelques plans de full frontal nudity, un chat crucifié dans un coin de cadre, de l’ordure assez anecdotique (une scène de rasage se démarque pourtant dans le subversif, on n’en dira pas plus) et beaucoup de morgue dans l’attitude de Simon Callow (qui s’amuse comme un petit fou en Crowley et est de loin le meilleur acteur du cast), tout ceci est plutôt touchant de candeur de la part des auteurs. Ce qui apparaît au final, ce sont de ces affectations de turpitudes mises en scène par des adolescents qui y croient à mort, de celles qui fleurissent à longueur de skyblogs de gothiques en carton. Ainsi les turpitudes de Crowley se manifestent le plus souvent au-dessous de la ceinture ou dans une coprolalie ampoulée, qui mettrait même en valeur ce qu’on avait pu voir dans le domaine chez Brian Yuzna (dans Society certes, mais aussi dans Faust, ce qui est franchement plus grave )… On évoquera ici ce qu’en dit Pierre Jourde dans l’avant-propos de son indispensable Littérature sans estomac : « Certains auteurs prétendus « sulfureux » (…) ont l’air de vivre il y a cinquante ans, ils se gargarisent d’audaces cacochymes, s’étonnent du courage qui consiste à briser des interdits pulvérisés depuis des lustres. » Ici c’est la même chose, on aurait même l’impression de se faire arnaquer en termes de déviance filmée si la pompe dont les auteurs font preuve ne montrait pas, encore une fois, leur candeur vis-à-vis de leur projet.
La preuve de cette candeur, c’est assurément le didactisme excessif dont fait preuve le dialogue dès qu’il s’agit des références scientifiques et relatives à l’informatique. Trop pointues, trop pléthoriques, et surtout mal fondues dans le script, elles ne font que parasiter la célérité du récit et en éjecter le spectateur qui avait déjà du mal à se sentir concerné (le prix de la réplique incongrue va sans doute, dans le domaine, à un « I feel like Schrödinger’s cat ! » juste avant le climax ; difficile de faire plus lourd dans le sibyllin !). C’est un peu comme ces mauvais récits de SF où les personnages se croient obligés de nommer chaque gadget d’un nom à rallonge qui en dévoile le fonctionnement : vous dites souvent que vous prenez votre véhicule roulant à énergie fossile, ou que vous vous brossez les dents à l’aide de votre dispositif à pression hydraulique ? Non ? Alors les gens du futur ne prendront sans doute pas de douches à radiation ionique inversée, mais simplement des douches, quelque exotique qu’en soit le principe moteur… C’est tout à fait pareil ici, où les personnages confondent jargon et vulgarisation au cas où une équipe de Discovery Channel passait par là quand on cause boulot.
Quant au charabia magique de Crowley, il est à l’avenant (c’est après tout, aussi, un jargon), et partant il ne fait quasiment jamais mouche et passe toujours pour un cheveux dans la soupe, un discours pompeux apposé à la va-comme-je-te-pousse sur des séquences qui n’en demandaient pas tant. Ce n’est certes pas la subtilité qui étouffe la caractérisation : Haddo est timide et inoffensif, il est donc bègue et arbore des boucles blondes, caractéristiques qui s’inversent à l’arrivée de Crowley (boule à zéro, diction emphatique, costume violet vif !). Et les personnages de s’étonner – sans blague.
Ajoutons à cela une production carrément en dessous de son sujet (la HD, pas assez bien éclairée, ne fait jamais illusion, et dès qu’on a des matte paintings ou des intégrations, ça devient vraiment criant), les trois quarts du cast jouant comme des briques (mention spéciale à Karl « une seule expression faciale » Weber dans le rôle du gentil héros), ET du Dickinson flanqué aux moments les plus inappropriés du métrage, et on ne pourra pas dire que Chemical wedding est un bon film. Même pour de la production télé, c’est en dessous des standards actuels de ce qui se fait au Royaume Uni. Mais il serait injuste de le qualifier de mauvais film, comme ça, de manière unilatérale. Ce n’est même pas un navet : c’est un vrai petit plaisir coupable, du genre qu’on se tape un samedi, avec des potes, de la pizza et de la bière ; on sait que c’est mauvais, mais ça peut tout de même faire plaisir… A condition de ne pas être tout seul (sinon on s’ennuie et on s’énerve et on écrit des articles bancals) et de savoir avant le visionnage à quoi s’en tenir. Plus maîtrisé, cela aurait donné une recommandable petite série B sans prétention comme avait pu l’être un Razor blade smile. Plus fou, moins retenu, dans d’autres mains peut-être, ç’aurait pu être une vraie bande psychotronique comme on en voit rarement.
Dommage.
-2009
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