Pour qui suit la trajectoire de Pascal Laugier, Ghostland est surprenant car en rupture avec une évolution thématique jusque là constante. C’est un shocker excellent, pervers et rigoureux mais sans le supplément rhétorique qu’on avait appris à attendre du cinéaste.
NB : L’analyse va braconner un peu dans le récit et sa manière particulière d’arranger ses péripéties, mais aussi révéler quelques points-clé des efforts précédents de l’auteur. Gare donc aux spoilers, divulgâcheurs, little snitchy bitches ou quoi que le fait de dévoiler certains points d’une intrigue se nomme ces jours-ci. En gros, voyez le film avant de lire ce qui suit si vous êtes à cheval sur les effets de surprise.
Alors qu’elles emménagent chez feu une tante excentrique, Coleen, une mère célibataire qui couve Beth, toute jeune fille sensible férue d’écriture et de Lovecraft, bien plus que son ainée Vera, adolescente typique, sont attaquées en pleine nuit. Leurs assaillants sont deux horribles tueurs et tortionnaires qui défraient la chronique locale par leur mode opératoire : ils tuent les adultes et séquestrent leur jeunes filles pendant des jours pour leur faire subir toutes sortes de sévices en rapport avec des imageries enfantines, bonbons et poupées en premier lieu. Au moment où la mère parvient à se rebiffer, le récit embraye directement sur Beth, 15 ans plus tard, devenue une autrice à succès qui vient de sortir le récit autobiographique de l’attaque. Elle doit toutefois revenir dans la maison où sa soeur Vera vit encore un enfer de psychose post-traumatique, retenue tant bien que mal par Coleen dans la cave capitonnée…
Pascal Laugier, pour la première fois, signe un film problématique précisément parce que, pour la première fois, le film qui arrive dans les salles semble ne pas être en l’état problématisé. En tous cas, pas problématisé à hauteur de ce qu’on avait déjà vu du bonhomme. C’est parce qu’il fait pour la première fois ce que beaucoup lui ont fallacieusement reproché par le passé, c’est-à-dire un « simple » shocker movie parfaitement exécuté, que l’on se pose de sérieuses questions à la fin du générique, sur les écueils sans doute rencontrés dans les eaux tumultueuses de la production et de la distribution. Pourtant, face au tout venant du film d’horreur à ancrage « réaliste », le film qui nous arrive est excellent, à pousser les potards de déviance que suppose le genre, sans détourner le regard et en apportant le supplément de commentaire qui manque souvent à l’exercice. Mais de la part de Pascal Laugier, on est en droit de penser que ces qualités sont de l’ordre du pré-requis.
L’incompréhension qui a entouré le cinéma de Laugier depuis au moins Martyrs, pour être représentative de certains grégarismes, n’en est pas moins assez énigmatique, tant les efforts du cinéaste sont pourtant limpides quant à leur projet. Et l’aberration critique la plus grossière est aussi la plus évidente, donc la plus répandue : résumer le type à une prétendue glorification du splatter et du glauque, sans autre horizon que le totem street crèd’ d’une interdiction aux moins de 16 ans. Non, Pascal Laugier n’est pas une Christine Angot du film épate-bourgeois, il ne se contente pas de servir un brouet de tripes nihiliste, c’est même tout le contraire.
Si l’on exclut un peu Saint-Ange, souffrant du contexte et des tropes d’une époque qui célébrait des Promenons-nous dans les Bois (entre autres scories, certaines répliques manquent cruellement d’oreille dans leur sur-signifiance), et handicapé par deux actrices principales qui ne s’intéressaient pas vraiment au projet, Laugier s’est déjà imposé en deux films comme un des cinéastes français les plus réfléchis en termes esthétiques ET cohérents au niveau thématique et philosophique. En effet, la première caractéristique de ses films (quand il a pu faire ce qu’il voulait s’entend) est le goût assez sûr dont il y fait preuve du point de vue plastique, sachant surjouer de l’outrance ou de l’esthétisation aux moments opportuns, mais surtout aussi filmer « platement » quand le récit le réclame : c’est l’erreur qu’ont fait beaucoup de jeunes cinéastes de genre français des 20 dernières années, que de faire inutilement tourner chaque plan de leurs films à la bande-démo de chef op’ virevoltant, et que Laugier évite avec ce qu’on n’aura pas peur de qualifier de maturité, en se contentant de découpages factuels dans les moments du récit où le réalisateur doit s’effacer derrière sa narration.
C’est thématiquement surtout que cette attitude est révélatrice, car au cinéma la forme, c’est du fond (doit-on encore le rappeler ?). Laugier est radical car il n’aborde jamais le « cinéma de genre » sur la pointe des pieds. C’étaient par exemple les effets de Benoît Lestang montrés frontalement dans Martyrs, L’ampleur Kingienne des décors et des développements serialesques de The Secret, l’ambiance de cauchemar cotonneux du troisième acte muet de Saint-Ange. Ceci dit, Laugier embrasse pleinement ses émotions de cinéphile mais, encore une fois contrairement à pas mal de ses camarades du cinoche français dit « de genre », en les problématisant, c’est-à-dire qu’il ne se repose pas sur de la référence mais la prend comme objet à questionner. Dans le film qui nous occupe, et en partant du postulat d’un bête home invasion avec ce qu’il a d’arbitraire, Laugier profite assez ostensiblement de sa première bobine pour évacuer les esthétiques et trouvailles du genre français des années 2000/2010 : Siri, Maury/Bustillo, Aja/Levasseur, Rocher… Avec une certaine malice, à l’issue de la phase initiale de l’attaque, il va jusqu’à montrer Mylène Farmer dans un duel à mort avec l’image d’Epinal d’un fan de Mylène Farmer. Il embrassera ensuite une esthétique plus proche de Rob Zombie et de la nouvelle vague horrifique américaine.
– Attention spoiler – A partir de là, le film part bille-en-tête dans une temporalité seconde trop belle pour être vraie, celle de Beth adulte, avec des allers-retours entre la séquestration de ses 14 ans et ce « plus-tard » indéfini. De fait deux univers s’opposent et on est amenés à départager le « vrai » du « faux », débat rapidement tranché dès le début du deuxième acte. Le paradoxe que manie alors le récit est d’inverser la versification des deux espaces narratifs. En effet le monde fantasmatique est le plus anodin dans son esthétique, qui passe du chic beigasse de quartier gentrifié au prosaïque hivernal lors de la visite familiale, alors que la « réalité » des évènements advenus dans la maison est présentée avec le baroque le plus décomplexé : on y voit une inflation de poupées, des agresseurs littéralement désignés comme « une sorcière et un ogre » qui conduisent un camion de bonbons, une maison isolée au sous-sol gigantesque et remplie de curiosités et chausse-trappes à la Fu-Manchu… Ceci-dit, si le film s’offre de ces intrigants pas-de-côté dans son sous-texte, le récit lui-même ne s’autorise pas un tel jeu, un dépassement de son sujet, auquel pourtant nous avait accoutumés Pascal Laugier, et c’est là qu’il pourrait décevoir, ou qu’en tous cas il surprend.
Deux théories s’opposent de fait, aussi déplaisantes l’une que l’autre car toutes deux représentatives de l’époque. La première, c’est celle du cinéaste qui acquiert assez de levier, par une circonstance ou une autre, pour faire un peu ce qu’il veut sur un projet, et se prend les pieds dans le tapis de désirs pas ou mal canalisés. On a vu, ces dernières années, des cinéastes d’envergure trébucher de la sorte et sortir des versions grossières de leurs œuvres marquantes, des films faibles parce que trop satisfaits d’eux-mêmes : le redondant Mientras Duermes de Jaume Balaguero, Peter Jackson et son fastidieux Lovely Bones, 31 où Rob Zombie dilue son idiosyncrasie dans le dilettantisme de celui à qui le crowdfunding a offert un blanc-seing, et jusqu’au récent et douloureusement pompier Shape of Water du grand Guillermo, manifeste de deltorisme pour les nuls à la structure étonnamment peu rigoureuse, et célébration du temps présent logiquement prétexte à consécration critique… La question est : n’ayant pas essuyé, avec The Secret, le tir de barrage de protestations qu’avait subi Martyrs, Laugier s’est-il « fait plaisir » avec une version lénifiée de son idiome, en oubliant qu’il avait jadis la dalle et la colère qui va avec ? Nanti d’une tête d’affiche vendeuse (Mylène Farmer donc, avec qui la rencontre artistique semble authentique suite au clip qu’il lui avait réalisé) et acquise à sa cause, avec le confort que peut supposer cet état de fait, n’en aurait-il fait qu’à sa tête en oubliant au passage la rigueur qui caractérise ses précédents efforts?
Il y a certes ici une confirmation, sur un mode plus explicite, de certaines thématiques et partis-pris, poussés avec encore plus d’insolence que précédemment ; et justement, les plus grandes qualités du film se trouvent là. En particulier la peinture cruelle et imagée des injonctions constantes faites aux femmes dans nos sociétés. Ici, c’est la vision atroce de deux jeunes filles manipulées comme des chiffons, mutilées, humiliées, autant apprêtées qu’elles sont niées en tant que sujets agissants (« Ne bouge pas, ne pleure pas, quoi qu’il te fasse, sinon ce sera pire » dira Vera à Beth). Les films de Laugier grouillent littéralement de jolies jeunes femmes frappées, entravées, objectifiées, et montrées couvertes de blessures affreuses notamment au visage. Loin d’être anodin, le motif est assez imparable : et à nouveau, on a reproché à Laugier l’exact inverse de ce qu’il faisait dans ses films, c’est-à-dire une supposée complaisance dans les sévices à des figures féminines trivialisées, alors que son discours est tourné justement vers la dénonciation de cet effet. Il est ainsi l’un des rares cinéastes, par exemple, à ne pas fétichiser ses protagonistes féminines en tant qu’objets sexuels, propres à exciter gratuitement la concupiscence du spectateur. Dans Martyrs, les violences cliniques perpétrées ne sont pas motivées par des tempéraments à la Weinstein, pas plus que l’héroïne ou l’adolescente de The Secret ne sont posées en appâts à libido comme dans l’immense majorité du cinéma moderne (même le dernier plan de Saint Ange, dans sa relecture érotique de Fulci, focalise davantage sur le regard blanc de Ledoyen que sur sa nudité).
Ce n’est pourtant pas une marque de bigoterie puisqu’il ne nie jamais la dimension corporelle des femmes qu’il montre, par la convocation de toutes sortes de fluides (sang, sueur, excrétions, menstruations), ou en montrant des nudités entièrement désexualisées (ici, Vera en crise). Bref, et c’est d’autant plus précieux que c’est extrêmement rare dans un cinéma hors-militance politique, il revendique une prise de position consciente sur l’image de la femme dans l’occident moderne, et le fait qu’une somme d’impensés et d’hypocrisies plus ou moins hébéphiles, s’avère aussi meurtrière que certaines négations plus bruyantes dans ces Moyen-Orients chimériques que l’on fustige volontiers dans les pages de Causeur… Le sérieux papal des deux précédents films, l’absence de lénification et de ludisme dans le traitement disent assez la position du cinéaste sur les sujets qu’il commente. Ici, via les figures des deux meurtriers/tortionnaires et surtout leur mode opératoire, le discours sur la négation de la femme est plus criard, plus évident. La torture se fait sur des adolescentes transformées en poupées, maquillées comme des demi-mondaines victoriennes par-dessus les cicatrices et tuméfactions qui les défigurent : difficile d’être plus explicite quant à la thématique d’une société où la négation des femmes passe par leur réification. Difficile en tous cas d’y voir l’effet fortuit d’un film de sale gosse capricieux…
L’autre possibilité est plus probable, car elle semble appuyée par certains éléments du film qui, pourtant lourds de sens (aucune chance qu’ils soient fortuits), ne font pas l’objet de pay-offs en fin de métrage. En l’occurrence, soyons clairs : le film a l’air d’avoir vu sa fin sabrée cavalièrement aux ultimes étapes de son montage, comme cela arrive quand les décideurs décident en cours de route de vendre un projet initialement abrasif sur un seul élément supposément fédérateur, et s’épouvantent alors de voir qu’un cinéaste qu’ils couvraient de louanges pour sa patte unique a fait effectivement montre de singularité. Pour revenir à Rob Zombie dont l’ombre plane sur tout Ghostland, on se souviendra du final du cut cinéma d’Halloween 2, complètement incohérent, artificiel et simpliste, alors que la proposition du director’s cut est autrement plus pertinente, et s’est vue reléguée à la confidentielle édition BR… Plus proche de nos contrées, on citera Frontières, sur lequel Xavier Gens et son film furent trahis carrément au soir de la préproduction, certains acteurs du projet prenant des décisions aberrantes du point de vue créatif (chercher à supprimer tout gore pour faire du PG-13 avec un matériau de NC-17), avec pour effet de couper les ailes au film sur son principe même (on a vu depuis que Gens livre effectivement des films excellents quand on le laisse faire son boulot, cf. The Divide et l’incroyable Cold Skin).
La grande signature du Laugier conteur est l’induction en fin de récit d’un twist pas tant narratif que rhétorique : poser un contexte, un discours radical que le spectateur doit déjà accepter comme un parti-pris extrême, puis retourner le point de vue porté dessus pour l’interpeller directement. Plus que les idées radicales dépeintes dans le corps du récit, c’est ce retournement rhétorique in fine qui crée l’inconfort intellectuel, donc l’intérêt discursif. En ce sens, Martyrs et The Secret ont souffert de la même réception qu’un Orange Mécanique en son temps, où le gros du public (et de la critique) se donnait à voir comme choqué par les outrances graphiques du premier acte, et pas par le pamphlet politique du troisième, autrement plus corrosif. Autrement dit, on aura préféré n’y voir que des transgressions adolescentes pour ne pas voir les vrais constats adultes (c’est-à-dire atrabilaires et désabusés) que recelaient ces films. Car Laugier est radical surtout dans ses prises de positions philosophiques et sociales ; les constats qu’il pose ne donnent généralement pas dans la sucrerie dans la forme comme dans le fond.
Le thème le plus saillant de la filmographie du cinéaste est ainsi l’esclavage social et métaphysique, la consommation de l’homme par l’homme. C’est-à-dire les mécanismes de puissants qui disposent de personnes qu’ils voient comme subordonnées par nature ou par circonstance : typiquement, des riches et des nantis faisant ce qu’ils veulent de pauvres et de laissés-pour-compte, habillant le cynisme inhérent à leur mode de vie d’une idéologie sujette à caution. Evidemment, cette coupable hiérarchisation se fait en particulier sur les femmes et les enfants, récurrentes victimes des abus de pouvoir de par le monde. Ce pouvoir dont la condition d’existence est qu’on en abuse, c’est la bonne société d’après la mort de Dieu dans Martyrs, qui essaie par la torture d’anonymes de percer le mystère de l’au-delà, mais aussi l’organisation de bons samaritains dans The Secret qui kidnappe des gosses de pauvres pour les offrir à des foyers aisés, selon le principe pour le moins discutable de l’organisation Arche de Zoé… Dans les deux cas, le procès était foncièrement à charge, même si l’ambigüité du traitement de The Secret (jamais l’empathie pour le personnage de Julia n’y est remise en question) tendait à brouiller les cartes : qu’on ne s’y trompe pas, le discours y était encore plus virulent, le regard-caméra interrogateur de Jodelle Ferland achevant de mettre le spectateur devant le système de valeurs du monde moderne, qui ne s’interroge même plus sur son principe de base voulant que « plus, c’est mieux », pour tout le monde et en tous temps. La question posée, le constat évoqué, c’est simplement : de quel droit cette mise à disposition de certains par d’autres ? En retournant dans la dernière bobine les finalités des activités de ces puissants, Laugier envoie bouler ce fourvoiement moral : dans Martyrs, Anna voit effectivement un au-delà, dépasse donc les objectifs qui ont poussé à de telles exactions, et ses révélations poussent Mademoiselle à se tuer ; dans The Secret, la jeune Jenny n’est pas dupe d’un système qui en apparence la sert. Cette massue rhétorique est assénée dans les dernières secondes des métrages pour plus d’effet.
– Attention spoiler – Quelques éléments appellent un prolongement de cette réflexion dans Ghostland. Le principal est une séquence de dialogue apparemment anodine entre Beth et sa mère qui, alcoolisée, babille sur l’odeur familière de sa progéniture, puis regrette de ne pas avoir « dévoré » ses filles afin qu’elles lui appartiennent à jamais, et en particulier afin qu’aucun homme ne les lui enlève. Etant données les préoccupations de Laugier, il était logique que le film se terminât sur une révélation quelconque d’une séquestration des gamines par leur mère même : quoi de plus dévorateur, quel pouvoir plus absolu et donc injuste, que celui d’un parent sur son engeance ? Le caractère pitoresque, bigger than life des deux agresseurs, qui tire vers la bande dessinée, tend aussi à les envisager comme une traduction supplémentaire, baroque, dans l’esprit de Beth, d’un mal inconcevable parce qu’il serait perpétré par sa génitrice. Or, rien de tout ça dans le Ghostland qui sort en salles ; pourtant, à l’aune de ces quelques annonces dans la caractérisation de la famille, de la pente que prend globalement le deuxième acte et de la propension générale du métrage à donner de fausses pistes narratives, on a l’espoir aux premiers cartons de générique qu’un épilogue aussi abrasif que la mise en cause totale ou partielle de la mère dans les déconvenues de ses gamines nous saute à la tête.
On ne doute pas que Pascal Laugier, qui a l’habitude de dire ce qu’il pense en interviews, ait été sincère en louant ici et là il y a quelques mois la liberté totale qui lui a été laissée aux étapes de la production et du montage, ainsi que le soutien enthousiaste de sa tête d’affiche. La présence de la réplique de Coleen évoquée plus haut l’attesterait même. Ceci dit, c’est dans un second temps que le marketing autour du film s’est mis à insister presque exclusivement sur la présence de Mylène Farmer au générique… Aura-t-on eu peur, chez les distributeurs, qu’un public de fans de la chanteuse, qu’on aura supposés excessivement cauteleux, se gendarme de voir son idole présentée comme un personnage trop négatif et crapoteux de Médée domestique, et se mette à bouder voire à boycotter le film ? A-t-on voulu que rien ne dissuade les veaux d’aller au pré ? L’aspect très abrupt de la fin du film et de certains points de montage, les éléments orphelins et les quelques trous occasionnés, permettent de s’interroger sur la possibilité d’un film fini qu’on aurait mutilé sur le tard à la va-comme-je-te-pousse, à la manière d’un comité de censure gouvernemental des années 70…
Car hélas, le seul biais pris par le récit sera une espèce de fustigation de l’imaginaire dans lequel Beth se réfugie pour échapper aux sévices d’agresseurs extérieurs, réels bien que présentés avec un excès esthétique qui les rends peu réalistes. L’intervention « physique » de H.P. Lovecraft (dont le maquillage n’est pas très heureux) et les dernières apparitions de Coleen participent de cela, dans un discours étrange qui semble discréditer l’idée de mythe en soi, qu’il pousse l’une des filles à ne pas affronter le réel, l’autre à vivre un cauchemar permanent, ou les tueurs à des horreurs sans nom…C’est l’autre aspect qui surprend de la part du cinéaste, qui auparavant interpellait davantage la morale du spectateur et ses contradictions. Le problème principal du home invasion n’est en effet pas la complaisance dont on le taxe, mais bien plus le fait qu’en ne présentant une menace qu’extérieure aux personnages principaux, le genre glisse souvent la conscience du spectateur dans ses propres pantoufles : il n’y a pas franchement d’ambigüité, donc peu de questionnement, dans des histoires où l’élément disruptif est strictement étranger.
En se contentant d’une horreur « rassurante », car gardée à une distance prophylactique des protagonistes et de leurs propres ramifications mentales, le film interroge, au final, bien peu. Pascal Laugier a-t-il cherché à se montrer accessible en réduisant sa voilure philosophique le temps d’un film, où l’a-t-on contraint à sacrifier une partie de sa rage désabusée sur l’autel d’une politesse préemptive ? En l’état, et tout excellent qu’il soit à sa valeur faciale, son film ne permet pas de le dire. On attend avec curiosité les interviews des prochaines années ou, qui sait, un director’s cut en vidéo… Car de la part de Pascal Laugier (mais là c’est peut-être l’admirateur qui parle), avec l’horizon d’attente qu’il a créé avec ses précédents efforts, ne sortir qu’un grand ride pervers et retors, signer « seulement » un très bon film, sera vu comme un peu court.
N.B.: vu qu’on n’est pas dans la presse people, on ne glosera pas sur la plainte suite à un accident survenu sur le plateau, qui n’a pas grand-chose à voir avec le contenu du film, mais que les amateurs de bad buzz faciles brandissent déjà jusqu’à plus soif, toutes occasions de discréditer les cultures de l’imaginaire dans leur ensemble étant encore aussi vendeuses 30 ans après la V-chip et les video nasties.
-2018
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