Au commencement, cette semaine, de celui de Gerardmer, revenons de manière extensive sur « l’autre » festival français de genre, le PIFFF, qui soufflait une belle troisième bougie en Novembre dernier. De quoi trianguler un peu notre position de ce début d’année.
NB : Nous n’avions pu accéder à la projection du film L’Etrange Couleur des Larmes de ton Corps, pleine comme un œuf. L’exercice giallesque de Cattet et Forzani, prix Ciné+ Frissons, se verra donc traité, lors de sa sortie, dans d’autres lignes.
« Mon film n’est pas un bon film, je ne suis pas une bonne personne, vous n’êtes pas un bon public et ce genre de festival n’est pas un bon genre de festival. C’est très bien qu’on puisse s’amuser entre mauvaises personnes. » C’est en ces termes parfaits qu’Alex de la Iglesia a présenté son dernier film délicieusement foutraque et ouvert la troisième édition du PIFFF en Novembre dernier. A vrai dire, son Sorcières de Zugarramurdi avait tout de l’ouverture idéale pour un tel évènement, tant par sa facture à la fois très moderne et discrètement référentielle, que par son esprit iconoclaste et son dynamisme à décorner les Krampus : le premier acte est fou, et les suivants haussent la mise encore et encore. Le film vient d’avoir la bonne idée de sortir en salles. C’est en tous cas l’un des tout meilleurs métrages à avoir été projetés cette semaine-là au Gaumont Capucines.
Depuis la mise en place de ses « nuits » hors festival, le PIFFF semble avoir enfin trouvé sa formule et atteint une certaine vitesse de croisière. A la faveur de l’assurance acquise par les organisateurs, voilà derrière nous l’impression désagréable qu’on avait parfois lors des deux premières éditions, d’un festival fait un peu sur un coin de table (ah, devoir se frayer un chemin sous le regard désapprobateur des transhumants de la file d’attente pour Intouchables, quel beau souvenir). Bref, voilà qu’enfin on ne s’excuse plus d’être là, à bouffer un maximum avant de se faire virer du buffet par un vigile du bon goût français placé en faction comme dans un épisode des trois Stooges, ce qui est heureux. On a retrouvé cette dynamique plus sereine dans une programmation plus resserrée, moins pléthorique, laissant la place aux films de respirer à leur aise. L’éclectisme, en tous cas, était d’autant plus évident cette année que les projections étaient moins nombreuses, avec un résultat inégal mais toujours intéressant (au moins, par moments, d’un point de vue tératologique). L’équipe de bénévoles, toujours aussi volontaire, porte à bouts de bras l’évènement avec une abnégation et un désir palpables, bref une dévotion qu’on ne trouve pas forcément dans les festivals dits de prestige. La différence entre co-équipiers en t-shirt et larbins en col blanc en somme, qui paraît un cliché jusqu’à ce qu’on arpente effectivement quelques festivals…
Dans les vieux pots de la communauté
Les projections de patrimoine, toujours baptisées « séances culte », se sont avérées à ce titre un vrai bonheur, soit parce qu’elles permettaient de voir des films plus ou moins inédits chez nous, soit pour le plaisir de voir en salle des films qu’on n’a que trop rarement l’occasion de regarder dans des conditions optimales. Outre que revoir Re-Animator, Christine, Creepshow ou Perfect Blue sur grand écran constitue forcément un plaisir de gourmet, qui plus est dans des salles à l’ambiance toujours bon-enfant, les deux très gros morceaux de la sélection étaient les « inédits »: Seconds de John Frankenheimer et le montage définitif du Wicker Man de Robin Hardy. Ce montage « définitif » pouvait être attendu ou craint (Hardy s’est rendu coupable de Wicker Tree récemment) – il s’avère assez anecdotique. C’est l’aspect folk et joyeusement païen qui en sort mis en valeur, avec notamment une apparition supplémentaire de Chris Lee qui valide l’hypersexualité de Britt Ekland; on regrettera toutefois la scène de messe anglicane du début qui perd la cohérence géographique du récit, et la disparition du carton d’ouverture et de son humour à froid. Seconds, lui, jamais vraiment distribué officiellement en France, prouve encore la modernité du cinéma de Frankenheimer, et l’actualité des thèmes de cette vague de cinéma américain parano des 60’s. S’il n’est pas interdit de voir dans le film une évocation prophétique des aventures de nos plus récents stagiaires à Wikileaks, c’est la troublante vision des désirs de l’homme occidental contemporain, et son désarroi lorsqu’il se rend compte de leur vanité impersonnelle, dictée toujours par quelqu’un d’autre, qui trouble le plus durablement devant ce film d’une logique extrêmement noire et pessimiste, et le rapproche du reste de la sélection.
Délicatesses réelles et délicatesses feintes
Pour ce qui fut des nouveautés, on peut en effet dégager deux tendances très encourageantes de la sélection de films, courts et longs : un vrai pessimisme non seulement social mais quant à la condition humaine en général, et une sincérité évidente des cinéastes quant à leurs œuvres (au point parfois de tomber dans le brouillon ou la naïveté). Soit un retour à quelque chose de plus « conscient », pour reprendre une terminologie hip hop (toi-même tu sais). Après une décennie de cynisme, entre post-moderne autophile et torture-porn paresseux, il est quand même bien agréable de voir des gens à nouveau se piquer de propos discursif et esthétique, même s’ils ne constituent pas l’essentiel de l’espèce à l’heure actuelle, ou que certains de ces propos sont plus ou moins recevables.
Paradoxe inhérent aux festivals en général, et auquel celui-ci ne peut pas totalement échapper, c’est dans les compétions officielles qu’on aura fait ses emplettes au rayon bêtes de festoches et pétards mouillés (synonymes fréquents), avec des pellicules arborant fièrement tous les marqueurs sociaux de l’exercice : photo soignée tendance « démo technique de 5D», rythme lancinant, détachement clinique de la mise en scène, DA arty, musique étéhérée et/ou branchouille, et fantastique convoqué honteusement du bout des lèvres. Ainsi, malgré quelques idées intrigantes, Animals, avec son sosie juvénile de Jurgen Prochnow causant à un ours en peluche vivant, ne parvient hélas qu’à ressembler à un Donnie Darko tabassé à mort par Larry Clark… On passera de la même manière sur Love Eternal, exercice au final assez creux, qui fait passer son indécision pour de la délicatesse et ruine les matières pourtant hautement corrosives qu’il traite (suicide, nécrophilie) par son traitement timoré, qui répugne à affirmer quoi que ce soit. Les mètres-étalon du sujet de Jorg Buttgereit (celui de Der Todes King, pas forcément des Nekromantik) et Lynne Stopkewitch (Kissed), restent donc bien à l’abri. Alors qu’il paraît leur ressembler de prime abord, notamment parce qu’il ressemble parfois à un extrait de blog lifestyle de hipster, The Battery de Jeremy Gardner est d’un tout autre calibre parce qu’il déborde de ce qui fait défaut aux deux autres films : l’humanité. Parfois maladroit mais couillu dans ses partis-pris, The Battery est un film aussi attachant que son auteur, dont la présentation en exergue portait peut-être aussi à toutes les indulgences.
Au rayon éthéré, le dernier Kurosawa peine quant à lui à convaincre. Malgré de jolis moments, Real s’avère empesé dans son rythme et surtout dans son systématisme thématique vieillot : le climax ravira les tenants des jeux de salon de psychothérapeutes freudiens, avec la personnification monstrueuse du trauma du héros qu’on a soin de soudoyer aux bons sentiments pour repartir la conscience dans les pantoufles, comme aux plus belles heures du Flatliners de Schumacher… De la part du type qui nous a donné Kaïro, c’est ballot.
A l’autre bout du spectre, dans cette catégorie « voyez ma folie iconoclaste » qui se porte toujours avantageusement en festivals, on trouvait le duo McKee/Siverston repartis en visite de leur jeunesse avec un remake de All Cheerleaders Die. Outre qu’on peut s’interroger sur la pertinence du procédé (on n’a pas forcément envie de voir des réas s’adonner eux-mêmes à un tel révisionnisme sans but effectif, à part celui de se rouler dans ses vingt ans), le récit lui-même ne questionne jamais le modèle culturel de la high-school dans son ignominie : les outcasts jouissent ou souffrent tour à tour des jeux de pouvoirs et de popularité sans jamais remettre en cause le contexte même où ceux-ci ont lieu. Si l’ensemble est amusant pour un popcorn movie (avec ses pierres magiques qui volent comme dans Warlock 2 – au fait, qu’est-ce qu’il devient Hickox?), l’ensemble fait montre d’une vanité (dans tous les sens du terme) et une certaine paresse de mise en scène et d’écriture assez pénibles. Et où diable est passée Angela Bettis ?
Du court et des coulisses
Les compétitions de courts se sont montrées, comme le reste, symptomatiques de l’état du cinéma de genre actuel dans toute son inégalité. Avec ceci de particulier pour le court que ses modes de productions sont particuliers, et notamment plus impactés culturellement par Internet et ses modes de fonctionnement « viraux », ce qui rend plus difficile la tâche des programmateurs et sélectionneurs de ce genre d’évènement. Logiquement, en français comme en international, on se croirait désormais dans n’importe quel sur un agrégateur de liens ou un webzine, avec la même typologie. On aura donc en général (et cette année au PIFFF) : des films virtuoses bricolés pour rien dans un garage, dont un ou deux en animation, des machins confondants de bêtise démagogue visant les millions de clics du public de l’oxymorique « culture du lol » (bravo au PIFFF d’avoir limité la chose à la portion congrue), divers degrés de fanboyisme plus ou moins maîtrisé, de l’idée toute simple qui obéit au principe voulant que ce qui est court et bon est deux fois bon, de la poésie bien filmée mais peu offensive, tendance « frontpage de Vimeo », le film pro qui vient faire coucou sur le chemin de Clermont-Ferrand, et toujours la tendance lourde du récit en boucle si populaire dans le court métrage (paradoxe temporel, existence absurde et/ou concentrationnaire, twists à base de clonage ou de robotique…).
Ici, les grands gagnants étaient sans surprise Jiminy d’Arthur Môlard et l’australien The Man Who Could Not Dream de Burgess et Armstrong : qualitatifs et pros, mais aussi suffisamment faciles à appréhender pour avoir l’adhésion du plus grand nombre. Ce n’est pas une mauvaise chose, et Jiminy notamment mérite les éloges. Cependant quelques perles étaient bien cachées derrière la clinquance de la vitrine. On retiendra surtout Rose of The Mute Liars de Gregory Monro et Dieu Reconnaitra les Siens de Cédric Le Men, modèles de maîtrise et de sobriété, et à l’international l’étrange Unicorn Blood d’ Alberto Vazquez, Habitantes de Leticia Dolera et surtout le film turc Baskin, de Can Evrenol, avec son ambiance putride et son arbitraire bienvenu pour un récit court, qui réussit en une toute petite bobine à coller une vraie pétoche.
Le documentaire Du Sang sur la Neige, rétrospective du festival d’Avoriaz montré dans une salle bien remplie, est aussi intéressant, sinon plus, par sa nature que par son contenu. Premier docu sur Avoriaz (ce qui paraît aberrant tant le festival a marqué les imaginaires), ramassé dans un format télé (70 petites minutes), le film ne peut malheureusement qu’évoquer le festival et son histoire et, de fait, effleurer les thématiques passionnantes qu’il aborde plutôt que d’en proposer une élucidation consistante. Le point fort du docu est qu’il nomme un chat un chat, et aborde frontalement l’aspect strictement publicitaire de la création de l’évènement (le franc-parler de Lionel Chouchan est précieux), mais aussi les peoples invités pour perfuser la station de leur notoriété, et pour beaucoup juste là pour les cuites et le manger gratuit tout en se moquant comme d’une guigne des cultures de l’imaginaire. Il faut voir certaines archives où nos plus illustres bêtes à cornes étalent avec délices leur mépris du fantastique, en sortant des bêtises grosses comme eux… Cette franchise roborative s’applique aussi à l’analyse du déroulé des éditions, dont les détours relationnels et les fautes de goût ne sont pas éludées. On regrettera cependant qu’avec si peu de temps, le film soit régulièrement plombé par des interventions pas toujours utiles se contentant de décrire platement les pitches des films primés, la part belle faite à l’aspect people justement (beaucoup d’extraits des Midi-Première et consorts, ou encore une Jane Birkin décrivant les soulographies de ses potes) et à une vision nostalgique qui annihile un peu cette lecture critique. Ceci dit, le sujet n’avait pas encore été traité, et son casting incroyable (il y a vraiment de quoi saliver) font passer la pilule d’un documentaire qui, certes, appelle des suites plus fouillées.
Gros morceaux ?
Deux sorties étaient quant à elles attendues au tournant : Odd Thomas et la nouvelle itération de Carrie. Ce second film étant sorti en décembre avec la possibilité pour chacun de juger sur pièce, on n’aura plus grand’chose à en dire, à part que son cul est placé si habilement entre les deux chaises de la fadeur et du suivisme qu’il en devient particulièrement inutile, à part pour démontrer aux adolescents d’aujourd’hui, cœur de cible du produit, quels butors préfacistes ils deviennent lorsque réunis en groupe (ou pas). Dans la mesure bien vraisemblable où ils n’auraient jamais l’idée de voir le De Palma, ou de lire le livre, le film de Kimberly Pierce peut au moins servir à ça… Le retour de Stephen Sommers, lui, se faisait en demi-teintes : après son quasi-exil sous les quolibets quant au gigantisme boursoufflé de ses blockbusters des années 2000, il revient logiquement avec un « petit » film dans le but évident de revenir à ses premiers efforts de B movies (Deep Blue Sea). Le résultat, charmant, évoque beaucoup les meilleurs moments campy d’un Buffy Vampire Slayer : c’est enlevé, amusant et solaire, et le postulat (un type lunaire voit les esprits des défunts ainsi que des sycophantes surnaturels qui se nourrissent de violence) est admis en un temps record. Le corollaire de cet aspect télévisuel, c’est que c’est très bavard et que le tout manque franchement d’ampleur, même au cœur de ses morceaux de bravoure (comme chez Joss Whedon donc).
Pas mal fustigé comme trop différent de Wolf Creek, survival un brin surestimé qui avait surtout fonctionné sur l’effet de surprise, Wolf Creek 2 (du même Greg McLean) améliore pourtant grandement la donne, en améliorant le rythme, et en faisant en quelque sorte le chemin inverse de Rob Zombie entre House of 1000 Corpses et Devil’s Rejects : il tire le réalisme à tout crin du premier vers une sorte de surenchère folle qui vire presque au fantastique, en capitalisant à fond sur son bogeyman Mick Taylor (John Jarrat est incroyable) et sa bonhomie rigolarde à la Paul Hogan jusque dans des exactions excessives et très bien emballées, de deux poursuites folles dans l’outback à un quizz en chanson à la fois drôle et tendu. Une très belle réussite bigger, louder et, oui, better.
Mais ce sont deux vrais joyaux qui auront emporté définitivement le morceau et justifié en grande partie cette édition. D’abord le très très fort Cheap Thrills, maîtrisé d’une manière impressionnante par E.L. Katz dont c’est le premier long. Un récit dégraissé au maximum (deux anciens amis de fac se retrouvent une nuit dans une suite de « paris » avilissants pour le compte d’un couple riche) qui court bille-en-tête d’une transgression à l’autre, toujours plus loin vers sa conclusion naturelle, évidente mais pas attendue (le dernier plan est magnifique), et servi par un cast parfait (outre Pat Healy et Sarah Paxton, vous n’avez jamais vu David Koechner comme ça) et surtout une mise en scène précise et efficace sans être ostentatoire. On pourrait voir la chose comme un croisement entre les pires shows de téléréalité et les films de Ben Wheatley. Mine de rien, E.L. décrit avec acuité une version locale et clandestine des « derniers jours de Rome » que nous vivons tous quotidiennement, tant sur nos écrans (les « épreuves » consistant à s’humilier ou à se mettre en danger, la mise en compétition des êtres humains sur leur existence même) que dans la vie économique où la classe dominante dispose des moins riches par un chantage implicite et consenti par ceux-ci… Là où le film réussit son coup, c’est que le public, déjà anesthésié par des années de ce traitement, vit jusqu’au dernier acte la chose dans l’impensé de son époque, riant de péripéties pourtant glaçantes, avant de réaliser à la fin qu’on lui a mis le nez dans ses propres déjections. Grand gagnant du festival, et à raison.
Et pourtant il ne sortira qu’en vidéo par chez nous, à l’instar de Byzantium (déjà dans les bacs), le dernier et magnifique métrage de Neil Jordan, qui revient au vampirisme après Interview with a Vampire. Et pourtant voilà un film qui mérite amplement d’être vu en salles, tant par le classicisme de sa mise en scène et de son écriture, par la délicatesse de son traitement, que par une interprétation désarmante et une mythologie fascinante dévoilée juste ce qu’il faut pour enflammer l’imagination. Lavant le sous-genre vampirique des affronts scintillants et/ou vulgaires des dix dernières années, Jordan sait ce qu’il fait et le fait avec sérieux sinon avec foi, en créant des personnages épais, complexes, pour lesquels on se damnerait en un clin d’oeil (on met au défi quiconque de ne pas ressentir un frisson adolescent devant l’amour naissant entre Saiorse Ronan et Caleb Jones) et en ménageant des images d’une force évocatrice et symbolique rarement vue en ces temps de disette. Poétique, concret, sexué, émouvant et brutal, Byzantium est rien moins qu’un chef-d’oeuvre qui nous dit que non, le cynisme dans le cinéma de genre n’a pas encore totalement gagné et est peut-être même en voie de refluer. C’est globalement la leçon qu’on pouvait retenir du panorama de ce troisième PIFFF : un paysage du cinéma de genre mondial en friche, peut-être en transition, et l’intuition de désirs d’évolutions encore sous-jacents mais bien réels. Vivement.
Retrouvez l’ensemble des informations sur la programmation et le palmarès sur le site du PIFFF : www.pifff.fr
-2014
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