Début, donc, du cycle « Un monde de machines » qui se tient au Forum des Images (de Paris, en France, c’est-à-dire le pays qui, bien qu’il soit celui de de la Mettrie et Verne, s’obstine néanmoins à affirmer que la fiction à préoccupation scientifique n’est qu’un sous-produit américain et japonais), depuis le 2 mars et jusqu’en mai.
Une programmation éclectique. Pour le moins.
Bien calé sur ses deux bons mois, le programme du cycle en profite pour pousser très loin, et même parfois à la limite de l’intelligible, l’éclectisme dont on a pourtant déjà l’habitude avec les cycles du Forum. Dire que la programmation part dans toutes les directions est la moindre des assertions : en effet, la notion de machine a été envisagée sous toutes ses acceptions, physique, sociale, mécanique, biomécanique, systémique et même sexuelle (de loin la sélection la plus discutable, mais encore une fois, le contexte prévaut). Pour un sujet aussi large (ou vague), le panel de notions qu’on peut y rattacher est virtuellement infini, et avec un peu de rhétorique, on peut faire entrer n’importe quoi dans le corpus. C’est la limite que rencontre, a priori, le cycle tel qu’il se présente.
Si on peut imaginer le cheminement de pensée qui justifie l’apparition de la trilogie Bourne ou de Salo de Pasolini, la présence carrément capillotractée d’un Thelma et Louise, par exemple, ou même d’un Orgazmo,qui par ailleurs fait bien plaisir, a de quoi laisser dubitatif quand dans le même temps on n’a droit qu’au premier Tetsuo ou au second Ghost in the Shell. On regrettera principalement que des films importants, voire essentiels de la thématique cybernétique soient absents du cycle en raison des circonvolutions de droits d’exploitation : adieu 2001, trilogies Matrix et Star Wars, Blade Runner et même Metropolis ou Le Golem… En revanche, la thématique de l’aspect social du monde du travail, qui va jusqu’au film d’entreprise ou la publicité d’électroménager est très bien vue et apporte un regard moins stéréotypé sur le sujet, même si on ne coupera pas au sempiternel Les Temps Modernes.
L’équation programmation un peu trop maline sur les bords + public à forte composante germanopratine se retrouvait dans la soirée d’ouverture, notamment lors du raout d’après-projection, où passaient à portée d’oreille points Godwin mal dégrossis (« tout de même, toutes ces machines, ça fait très homme parfait nazi« … Sic !), inculture revendiquée comme un étendard de bon goût (les considérations entendues sur le doc de Caro, notamment quant à la culture du manga, valaient pour la plupart leur pesant de Bégaudeau) et autres amphigouris bien-mis n’ayant aucun rapport avec le sujet mais sans doute beaucoup avec les préoccupations immédiates de ressortissants d’arrondissements périphériques à l’Île de la Cité, capables de tout ramener à Freud, Debord et BHL (encore une fois, sic !) à une vitesse qui force l’admiration.
Il était, avouons-le, savoureux lors du pré-programme de la soirée, d’entendre ricaner sur le kitsch de vieilles publicités d’équipements ménagers, une salle remplie à au moins 75% de possesseurs d’Iphones ! Cet ethnocentrisme tant culturel que temporel, très bien porté manifestement, confirme l’idée très en rapport au demeurant avec la thématique du cycle qui nous intéresse, que nous vivons moins dans le futur vu par l’Orwell de 1984 (d’ailleurs programmé dans le cycle), que dans le Meilleur des Mondes imaginé par Huxley : une stricte société des loisirs dont on n’imagine même plus qu’elle puisse avoir des frontières ou des manquements, et où chacun est très content de la place qu’il occupe dans une société/époque dont il n’a ni les moyens ni le désir de penser autre chose que du bien… Quitte à ne pas voir dans le ridicule de l’autre (ici, les ménagères des années 50) le strict miroir du sien (il serait intéressant de mettre en regard les publicités d’époque et le marketing contemporain), et à se contenter de montrer du doigt. Bref.
Astroboy à Roboland
Étrangement, le documentaire réalisé il y a deux ans pour Canal + par Marc Caro est bien dans cette tonalité gourmande mais partielle qui semble caractériser la programmation du cycle.
A priori sympathique, le film pèche tout de même par son incapacité à choisir entre le documentaire de création, voire d’ambiance, et la vulgarisation la plus pédagogique et terre-à-terre que sans doute on lui réclamait. Sur ses très (trop) courtes 52 minutes, le film tente de survoler l’impact culturel, puis effectif, de la science-fiction robotique du vingtième siècle nippon sur la technologie qui voit le jour sous nos yeux à l’heure actuelle, en prenant comme fil rouge la figure d’Astroboy. Pas anodin quand on sait l’importance du personnage dans la caractérisation même de son pays, comparable à celles de Superman pour les États-Unis ou d’Astérix pour nos rivages. A peine esquissé, ce motif cède la place, via un chapitrage pas idiot autour de l’anatomie du personnage, à un survol des avancées technologiques en matière de locomotion, sensorialité, préhension, etc., des robots modernes.
Par-dessus tout ça, est saupoudré au petit bonheur une assez vague évocation des enjeux culturels sur la semblance que l’on réclame de nos robots et les émotions investies dans ceux-ci. Beaucoup trop de sous-sujets pour un 52 minutes, dont le projet de base n’est en aucun cas d’offrir des spéculations pointues sur son objet. On restera donc sur sa faim sur tous les sujets abordés, en ayant le sentiment de n’avoir rien appris sur aucun. Frustrant, d’autant que plastiquement le même sentiment d’entre-deux se fait jour : des plans très bien construits, troublants dans le brio qu’a parfois Caro à filmer les machines comme si elles étaient vivantes (de son propre aveu, il a construit quelques séquences comme un docu animalier), côtoient des interview assez platement cadrées, voire des séquences entières où la réa semble avoir abdiqué. Trop ambitieux pour sa durée, et surtout trop brouillon pour son propos, le documentaire noie les pistes passionnantes qu’il ouvre et les constructions thématiques qu’il met en place sous cette impression, partiellement fausse, de demi-échec.
Cette dispersion semble malheureusement l’apanage de Marc Caro réalisateur ; directeur artistique de génie (on regrettera d’ailleurs de ne pas voir Vibroboy dans la programmation du cycle), développeur d’univers visuels d’une rare cohérence de par chez nous (il suffit de voir les films de Jeunet depuis qu’il a arrêté de collaborer avec lui), faisant preuve d’une grande rigueur éditoriale dans la distribution de DVDs il y a quelques temps, Caro est un réalisateur perfectible. Dès qu’il est derrière une caméra pour raconter une histoire, on le sent peu à l’aise et pour tout dire encore peu solide – Astroboy à Roboland confirme ce que Dante 01 laissait supposer. Il y a peu à douter que dans des conditions de production optimales, lui laissant vraiment les coudées franches pour créer à nouveau des univers-mondes, le monsieur donnera sa mesure (dans le cas de Dante 01, adapter du Bordage n’était peut-être pas non plus l’idée du siècle pour un premier long). On attendra beaucoup plus de ses interventions diverses, toujours plaisantes et intéressantes, que de ce documentaire qui ne lui rend pas assez justice.
Mâche bien, c’est plein de boulons mais ça tient au corps
Attention, qu’on se comprenne bien : le cycle Un Monde de Machines est concocté par une équipe qu’on devine très motivée, sympathique et tout à fait louable dans ses intentions. La politique du Forum des Images vis-à-vis de la culture cinématographique est exemplaire en ce sens qu’elle n’opère jamais de hiérarchie dans les films montrés (ce qui est moins le cas de la Cinémathèque, par exemple), et certainement pas en fonction de leur pays de production ou du « genre » où ils évoluent ou n’évoluent pas. Ce qui est bien trop rare.
On aura donc, ici, quelques levés de sourcils sur l’apparition de certains films, ou même thèmes, dans un cycle qui semble n’avoir rien à voir avec eux (une thématique sur le zombie, dans son acception haïtienne, aurait par exemple été pertinente). Cependant, c’est l’envie boulimique de films qui pousse, on le sent, l’équipe à cette pléthorique programmation. Et puisqu’on n’a pas d’examen de fin de semestre à passer sur le corpus présenté, on n’aura pas à s’inquiéter de son aspect un peu boursoufflé. On n’aura qu’à se réjouir de pouvoir voir certains films qu’on n’avait jusque là que l’occasion de voir en vidéo, ou qui n’avaient eu que des carrières ridicules en salles dans de bonnes conditions. Pêle-mêle, les bonnes nouvelles se nomment Moon, Orgazmo, Tetsuo, Innocence, le Géant de Fer,les films de Fleisher, Screamers, Avalon ou encore A Scanner Darkly. On redécouvrira aussi 1984, Monsters Inc, Pi, Christine (un Carpenter en salle !), Cable Guy, Terminator 2,Total Recall (la conférence sur K. Dick sera aussi un must-see), Frankenstein, et I Robot, qui vaut bien mieux que ce qu’on en a dit à l’époque, et bien entendu Demolition Man, l’un des meilleurs blockbusters des années 90, injustement conspué depuis, pour la perspective Huxleyienne dont nous parlions plus haut…
On pourra aussi sauter les passages obligés par Chaplin, Vertov, Godard ou Tati. A cet hétéroclite mais pantagruélique buffet, on en a tant à goûter qu’on peut se passer de gressins.
-2010
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